L’E-CHO ordinaire de la transition énergétique
La transition énergétique est au cœur de nombreux discours. Elle fait l’unanimité depuis Ursula Van der Leyen, présidente de la Commission Européenne jusqu’aux écologistes encartés qui revendiquent son accélération. Il nous a semblé pertinent de situer le projet E-CHO par rapport à cette fameuse « transition ».
Quelques rappels et quelques chiffres révélateurs
Le projet E-CHO, porté par la start-up Elyse-Energy, consiste en l’implantation d’un complexe de trois unités de production sur des friches industrielles de la zone de Lacq. Son but est la fabrication de carburants dits « bas-carbones » destinés à l’aviation et au transport maritime.
Un carburant étant un assemblage de molécules d’hydrogène et de carbone, ces deux composants sont au coeur de cette production.
• Les 72.000 tonnes annuelles d’hydrogène, issues de l’électrolyse de l’eau du gave de Pau nécessiteront une puissance de 520 MW soit 20% de la puissance de la centrale nucléaire de Golfech.
• Le carbone sera issu de 300.000 tonnes annuelles de biomasse sèche (500.000 tonnes humides) dont tout laisse à penser qu’elle proviendra essentiellement de coupes dans nos forêts dans un rayon de 400 km.
La production annuelle serait de 75.000 tonnes de biokérosène, 200.000 tonnes de E-Méthanol, destinées donc au transport maritime et 35.000 tonnes de bio-naphta, une matière première pour l’industrie chimique.
Qui a parlé de sobriété ?
Ce n’est certainement pas le cas de Pascal Pénicaud, un des deux promoteurs du projet avec Cédric de Saint-Jouan. Le premier affirmait de façon totalement décomplexée lors d’une réunion publique : « Ce projet est nécessaire si nous voulons continuer à vivre comme avant ». Il faisait probablement référence au 1 % de la population mondiale, dont il fait partie, responsable de la moitié des émissions de CO2 liées à l’aviation !
Quant au rapport entre énergie consommée et énergie produite lors de la combustion des carburants, c’est la gabegie totale : pour produire 1 kWh d’énergie, 2 kWh seront consommés. Mais attention, ce sera de l’énergie décarbonée, nous disent les apprentis chimistes.
Comment faire un carburant décarboné avec du carbone ?
C’est là qu’intervient l’Europe avec sa cohorte de lobbys au service des intérêts de ceux qui les financent, et ce de deux façons :
• Au prix d’un lobbying intense de l’Etat français, l’Europe a inclus les centrales nucléaires présentes et future dans la liste des industries contribuant à la décarbonation mais également tout « processus industriel à haut rendement pour les industries à forte intensité d’énergie et de carbone » (Net-Zero Industry act). On est en plein dedans !
• Dans le cadre de son « pacte vert » l’Europe considère toutes les forêts (à l’exception des 2% de forêts primaires) comme représentant une source d’énergie renouvelable (alors qu’on sait bien que derrière une coupe rase, il faudra 100 à 150 ans pour reconstituer le stock de carbone).
Autrement dit, Elyse Energy peut détruire des forêts pour récupérer des molécules de carbone et rejeter celui-ci sous forme de CO2 dans l’atmosphère, aucun souci, son carburant sera réputé bas-carbone. À croire que c’est eux-mêmes qui ont rédigé les textes européens !
Et l’argent dans tout ça…
C’est là le nerf de la guerre et concernant nos start-uper du projet E-CHO, il s’agit même de leur fluide vital car nous avons affaire là à de purs financiers. Et puisque nous sommes dans les carburants, on pourrait même parler de leur « essence ».
• Premier point : comment vendre un carburant qui coûtera plus ou moins 6 fois le prix d’un carburant d’origine fossile ? Eh bien, là encore, l’Europe vient au secours de nos pompistes : Celle-ci a fixé à 6% le seuil d’introduction de « Carburant d’Aviation Durable » en 2030 et 70% pour 2050. Autrement dit : les clients n’auront pas le choix, mais ils devraient bien s’en tirer. Prenons le cas des compagnies aériennes qui utilisent l’aéroport de Bordeaux-Mérignac, lui-même partenaire d’Elyse-Energy : Elles pourront récupérer 70 % des surcoût via l’obtention de quotas d’émission carbone mis gratuitement sur le marché par le Conseil Européen jusqu’à fin 2030.
Autrement dit, les compagnies pourront continuer à balancer leurs gaz à effet de serre dans l’atmosphère avec la bénédiction et les financements de l’Europe, c’est à dire des européens !
• Deuxième point : comment financer les 2 milliards d’investissements annoncés ? Outre les financements publics déjà connus (200 millions annoncés par Macron, l’ADEME et divers fonds européens) Elyse-Energy peut compter sur des fonds d’investissement spécialisés dans la transition énergétique (Hy24 et Mirova). Il y a fort à parier que les économies que vous avez innocemment confiées à votre banquier pour qu’elles contribuent à un « développement durable » se retrouvent dans ce genre de projet douteux…
Mais comment Elyse pourra rembourser de telles sommes ? Eh bien, encore une fois, le marché du carbone est là pour leur sauver la mise. Elyse pourrait recevoir des crédits carbone pour son hydrogène « vert » et son carburant « renouvelable ». Une fois ceux-ci perçus, ils pourront être commercialisés. Avec un prix de la tonne de CO2 qui pourrait doubler dans les prochaines années, l’affaire est juteuse. Pour nous, ces crédits obtenus en faisant passer une entreprise de carbonation pour un projet vertueux de décarbonation et en les valorisant sur le marché s’apparentent à une pratique de faux-monnayeurs, mais des faux-monnayeurs qu’aucune justice officielle ne poursuivra…
Mais derrière, il y a qui ?
Outre les deux financiers que nous avons déjà évoqués, Pascal Pénicaud et Cédric de St-Jouan, qui possèdent l’essentiel du capital, on ne s’étonnera pas de trouver le groupe agro-industriel Avril, spécialisé dans les huiles et protéines végétales, leader des biocarburants, avec à sa tête le fameux Arnaud Rousseau, par ailleurs président de la FNSEA.
Le groupe Total, incontournable quand il s’agit de bousiller un peu plus la planète, est logiquement de la partie via Bionext qui apporte son expertise industrielle et technique.
Voilà ce que le ministre de l’économie et des finances Bruno Lemaire définit comme « L’étendard de la France en mouvement » !
Jusqu’où iront-ils ?
Si l’on suit la logique de la commission européenne, avec un seuil d’introduction de « carburant d’aviation durable » de 70% en 2050, considérant l’augmentation constante du trafic aérien, il faudrait à cette date, en poursuivant le même processus de production, l’équivalent en eau d’un fleuve comme la Somme, l’énergie de 40 centrales nucléaires de type Golfech, et deux fois et demi la production annuelle de bois en France !
Elyse–Energy anticipe déjà la contradiction en prévoyant d’installer une unité de production à Fos-sur-Mer, sur un site qui « ouvre la voie à la massification par les possibilités d’import de molécules offertes par les installations portuaires ». Autrement dit, les forêts d’Amazonie et d’ailleurs peuvent se faire du souci…
Mais pour ces artisans de la « transition énergétique », la décroissance n’est pas à l’ordre du jour, car le système industriel et financier qu’ils essaient de faire perdurer, quel qu’en soit le prix environnemental, est comme une bicyclette. Elle ne connaît pas la marche arrière et quand elle s’arrête, elle tombe. Alors, il faut toujours pédaler toujours plus vite, avec le risque de se casser la gueule pour de bon, mais aussi de se faire mettre quelques bâtons dans les roues par quelques irresponsables… dont nous sommes résolument !