Les Palestiniens perdront la récolte d’olives de 2024 si Israël continue de bloquer l’accès à la terre
La saison de récolte des olives 2023 a été particulièrement difficile pour les agriculteurs palestiniens de Cisjordanie. Se déroulant entre septembre et novembre, elle a coïncidé avec l’attaque du 7 octobre contre Israël et le déclenchement des attaques israéliennes contre la bande de Gaza. Pendant cette période, les Palestiniens de Cisjordanie ont été confrontés à une recrudescence des restrictions de mouvement et de la violence de la part des forces israéliennes et des colons.
Pour les cueilleurs d’olives palestiniens, cela a entraîné d’immenses difficultés car ils n’avaient souvent pas accès à leurs olives. Plus de 96.000 dounams (96 kilomètres carrés) de terres cultivées en Cisjordanie sont restées non récoltées après la saison 2023, en raison des restrictions israéliennes sur l’accès des Palestiniens. Ils comprennent des olives cultivées dans quatre types de localités :
– derrière le mur de séparation de Cisjordanie, dans ce qu’on appelle la « zone de couture » ;
– bordant le Mur de séparation, dans un rayon de 150 mètres côté Cisjordanie ;
– à proximité de colonies illégales, où des autorisations militaires programmées (appelées « coordination préalable ») sont traditionnellement requises ;
– dans d’autres zones adjacentes aux colonies.
Les années précédentes, les autorités israéliennes exigeaient une « coordination préalable », en fait une autorisation militaire israélienne programmée, permettant aux agriculteurs d’accéder à leurs terres dans certaines zones et à certaines périodes. Cependant, au cours de la campagne 2023, les autorités israéliennes ont annulé presque toutes ces autorisations, empêchant ainsi les agriculteurs d’accéder à leurs terres. Les portes agricoles le long du mur de séparation en Cisjordanie sont restées en grande majorité fermées.
Selon le Secteur de la sécurité alimentaire, un partenariat regroupant des dizaines d’organisations humanitaires, les agriculteurs palestiniens ont subi une perte totale estimée à plus de 1.200 tonnes d’huile d’olive au cours de la saison 2023, ce qui a entraîné un revers financier direct de 10 millions de dollars. L’impact a été particulièrement dur dans les gouvernorats du nord de Tulkarem, Qalqiliya et Naplouse.
La récolte des olives est un événement économique, social et culturel clé pour les Palestiniens. En tant que puissance occupante, Israël doit veiller à ce que les Palestiniens puissent participer à cette activité et en bénéficier pleinement. Cela implique de garantir que les agriculteurs puissent accéder à leurs oliviers tout au long de l’année et que leurs arbres et leurs propriétés agricoles soient protégés contre les dommages et le vol.
De plus, entre septembre et novembre, OCHA (Office des Nations Unies pour la coordination des questions humanitaires) documenté 113 cas liés aux récoltes dans lesquels des colons israéliens ont attaqué des Palestiniens, endommagé leurs arbres ou volé les récoltes et les outils de récolte. Parmi ceux-ci, dix incidents ont entraîné des victimes et des dégâts matériels, dix autres ont entraîné des victimes mais pas de dégâts matériels et 93 incidents ont entraîné des dégâts mais pas de victimes. Plus de 2.000 arbres ont été vandalisés lors de ces incidents. Le plus grand nombre d’incidents a été enregistré dans les gouvernorats de Naplouse (40) et de Ramallah (31). OCHA estime qu’au total, en 2023, plus de 10.000 oliviers appartenant à des Palestiniens ont été vandalisés, vraisemblablement par des colons à travers la Cisjordanie.
Le 28 octobre, un Palestinien de 29 ans, père de quatre enfants, a été tué par balle par un colon israélien alors qu’il récoltait des olives dans le village d’As Sawiya, au sud de Naplouse. On a trouvé les impacts des balles dans sa poitrine et son avant-bras gauche.
À au moins 38 reprises, des agriculteurs palestiniens ou d’autres témoins oculaires ont rapporté que les forces israéliennes avaient accompagné les assaillants ou que ces derniers portaient des uniformes militaires lorsqu’ils expulsaient les Palestiniens des terres agricoles ou s’emparaient des olives et des outils.
Le mur de séparation
Les Palestiniens d’environ 150 communautés palestiniennes à travers la Cisjordanie possèdent des champs d’oliviers dans la zone située entre la Ligne verte et le mur de Cisjordanie. Grâce à des procès, les agriculteurs ont réussi depuis longtemps à augmenter le nombre de portes érigées par les autorités israéliennes dans le mur. Bien que 69 de ces portes aient été désignées à des fins agricoles, l’accès toute l’année n’est pas autorisé par la plupart d’entre elles. Au lieu de cela, la plupart des portes agricoles ne s’ouvrent que pendant la saison de récolte des olives, pendant une durée limitée chaque jour. Cela dit, au lendemain du 7 octobre, les autorités israéliennes ont décidé de toutes les maintenir fermées. Les portes ne se sont ouvertes pour les récoltes de 2023 qu’à titre exceptionnel, entre le 24 et le 30 novembre, alors qu’une pause humanitaire était mise en place à Gaza et en Israël.
De plus, des agriculteurs palestiniens rapportent que les forces israéliennes les ont empêchés d’accéder à des oliveraies qui ne sont pas isolées par le mur mais se trouvent à environ 150 mètres de celui-ci, du côté de la « Cisjordanie ».
Le suivi d’OCHA dans le nord de la Cisjordanie montre que la productivité des olives en 2023 dans la zone isolée par le mur de séparation était inférieure de 93 pour cent à celle des zones accessibles.
« Parallèlement à la réduction des rendements de cette saison, les répercussions se poursuivront la saison suivante si les portes restent fermées et si nous perdons le planning du labourage et de la taille », a déclaré Taysir Amarneh, un agriculteur du village d’Akkaba, dans le gouvernorat de Tulkarem, au nord du pays.
L’accès des Palestiniens aux oliveraies est également limité par la présence de colonies israéliennes et les pratiques qui y sont associées.
Les Palestiniens d’au moins 110 communautés de Cisjordanie possèdent des terres dans ou à proximité de 56 colonies israéliennes. Une grande partie de ces terres a depuis longtemps été déclarée « zone militaire fermée » par les autorités israéliennes et les agriculteurs palestiniens ne peuvent y accéder qu’avec une autorisation spéciale des autorités israéliennes, qui peut être accordée pour un nombre de jours limité pendant les saisons des récoltes et des labours.
Accès refusé
Près de la moitié des terres qui nécessitent des autorisations militaires programmées se trouvent dans le gouvernorat de Naplouse, suivi de Salfit et de Qalqiliya, tandis que le reste est réparti entre les gouvernorats de Ramallah, Hébron et Bethléem. Au cours de la saison 2023, les autorités israéliennes n’ont pas autorisé l’accès dans la plupart des endroits qui nécessitaient généralement une autorisation programmée.
En outre, les agriculteurs palestiniens se sont vu refuser l’accès à leurs oliviers dans la zone C de Cisjordanie, où ces terres étaient auparavant accessibles sans aucune restriction. Ces nouvelles restrictions ont été concrétisées par des monticules de terre, des barrières et des blocs de ciment barrant les routes. En outre, des refus d’accès ont également été signalés dans la zone B de la Cisjordanie ; par exemple, les agriculteurs se sont vu refuser l’accès à environ 700 dunums (0,7 kilomètres carrés) dans le village de Qaryut (Naplouse) et à 1.900 dunums (1,9 kilomètres carrés) à Turmus’ayya (Ramallah).
Selon les habitants du village de Turmus’ayya, plus de 180 agriculteurs palestiniens ont déclaré qu’ils ne pourraient pas accéder à leurs terres situées à proximité de la colonie israélienne de Shilo ou de ses « avant-postes » (zones de colonisation non officielles) pendant la saison 2023.
« Non seulement nous avons subi une perte de 70 pour cent de la production de cette saison, mais nous avons également vu nos olives dans les bosquets inaccessibles adjacents tomber au sol, car nous n’avons pas pu les récolter. En plus de cela, nous sommes quotidiennement confrontés à des difficultés pour répondre à nos besoins fondamentaux, tout en devant “coordonner” chaque mouvement avec les forces israéliennes stationnées près de chez moi », a déclaré Abdullah Abu Awwad de Turmusa’yya.
Article original en anglais sur Middle East Monitor / Traduction MR