… Restent un manque ... et une frustration.
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"À quelles conditions concrètes, économiques et politiques, pourraient être réalisées nos revendications et nos aspirations? Quels sont les ponts jetés entre les exigences de l'urgence et le monde tel que nous le voulons ?" Questions fondamentales auxquelles Ludivine Bantigny tente d'apporter quelques réponse dans un ouvrage intitulé : "Que Faire. Stratégies d'hier et d'aujourdhui pour une vrai démocratie" Edit 10/18. Ci-dessous les paragraphes en exergue dans le livre, qui résument son propos et ouvrent des pistes de reflexion.
… Trois objectifs jalonnent ce livre : prendre appui sur des expériences historiques qui sont autant d'alternatives; passer en revue quelques pratiques venues des luttes et interpeller les organisations existantes, espérer d'elles des réponses franches. Par-delà cette visée, un axe traverse ces pages: la mise au jour d'un « déjà-là' ».
- Pourtant, à la compétition, nous pouvons opposer la puissance née de l'autonomie, de la coopération et de l'égalité. C'est pourquoi modifier les rapports sociaux de propriété et de production n'est pas une fin mais un moyen. La fin est bien dans l'émancipation, la possibilité de délibérer et déterminer ce qui est juste et bon pour toutes et tous, pour chacune et chacun.
- Pendant des décennies, on nous a dit et répété qu'il n'y avait pas d'alternative, surtout plus d'espoirs à avoir. C'était ce monde-là et rien d'autre, tel qu'il va et ne va pas - « c'est comme ça », cette imposition, oui a tant détruit sur son passage, a aussi en partie affecté notre capacité créatrice en matière de stratégies et de perspectives.
- Nous connaissons et pratiquons déjà bien des formes d'émancipation: on le voit dans tous les gestes et tous les liens du quotidien, quand ils esquivent ou refusent les sommations, l'impératif de rentabilité, l'obsession de l'évaluation et la compétition.
- Qui produit ne sait plus dans quelles conditions; qui consomme ne sait rien de la production.
- Cette loi sacrée du capital gangrène la vie quotidienne, parallèlement à la fragmentation des processus de production, de sous-traitance en filialisation, qui rendent le travail parcellaire. Et voilà le commandement de cette loi: abaisser toujours plus le « coût» du travail, par les horaires flexibles, la pression sur les salaires et l'extension des contrats précaires.
- Nous vivons généralement une double dépossession: de notre travail, sur le plan socio-économique, et de la décision démocratique, sur le plan politique. Sur ces deux plans imbriqués, il nous faut poser les conditions d'une réappropriation.
- La démocratie vraie, c'est que chacune, chacun puisse gouverner. Nous avons trop admis l'idée que la démocratie était forcément représentative. Mais cette assimilation entre « représentants» et «démocratie» est, comme souvent, historiquement déterminée. Elle résulte d'un long processus de canalisation et même de répression de la parole collective.
- « Travailler plus». Vraiment ? Chaque fois que surgit l'injonction, je pense à celles et ceux qui consacrent leur vie au travail et en connaissent chaque jour les pathologies spécifiques, l'épuisement, les troubles musculo-squelettiques, le stress, le burn-out, les cauchemars nés de la mise en concurrence, les relents de l'évaluation, les fêlures de la compétition. parfois jusqu'au suicide ...
- Si nous n'avons pas la maîtrise de ce que nous produisons et échangeons, des façons dont nous devons œuvrer pourtant, jour après jour, quel pouvoir avons-nous réellement sur" nos vies ?
- L'autogestion élargit l'horizon. Elle transforme les individus en favorisant les échanges et les partages d'expériences. Elle intensifie l'existence, en la rendant plus riche par les pratiques de solidarité et de coopération. Elle permet aussi un usage des ressources conscient des périls que connaît le vivant.
- L'obsolescence intégrée est une aberration saccageuse, extravagante et destructrice. mais si, au lieu de fétichiser ce qu'on possède, on privilégiait ce à quoi on accède, tout serait si différent. On cesserait d'acheter, on emprunterait et on louerait. Les unités de production auraient tout intérêt à ce que les fabrications durent longtemps.
- Or cette « gauche » qui ne l'était plus et se faisait passer pour telle a considérablement abîmé les valeurs et les imaginaires, en vantant sans cesse le marché et l'entreprise, en marginalisant et en méprisant tout ce qui n'allait pas dans ce sens. C'est une évolution dramatique dont nous payons toujours aujourd'hui le prix.
- En réalité, si on ne touche pas aux fondements des rapports sociaux de production et de propriété ni au système financier, bien des acquis seront balayés.
- C'est le risque du réformisme: miser sur la voie électorale; préférer les manifestations aux grèves; soutenir les mouvements bien sûr, mais souvent en les canalisant; ne jamais vraiment poser les questions pourtant essentielles : l'auto-activité politique, la perspective autogestionnaire, les enjeux de propriété et la démocratie réelle.
- Nous affirmons que ce monde est violent. Violence du mépris social et des abîmes qui nous séparent des possédants. Violence du chantage à l'emploi qui conduit à tout accepter, fait voler en éclats les solidarités et quelquefois jusqu'à la dignité. Violence de la souffrance, au chômage, au travail, de la mise en concurrence, du management par l'obéissance.
- Entre réformes et révolution, il n'y a pas à trancher comme on fait avec un couperet. L'histoire, les luttes et les êtres surtout le feront pour et avec nous. Ce que nous pouvons concevoir de plausible est un assemblage fertile de deux processus combinés.
- Résister ? Peut-être d’abord aux évidences supposées. parmi elles, les préceptes exigeant de s'adapter au monde tel qu'il est: être plus flexible, plus précaire, travailler plus, être corvéable et finalement jetable.
Ludivine Bantigny, historienne, enseignante-chercheuse, autrice de nombreux livres d'histoire sur les mouvements sociaux et les révolutions ainsi que d' essais sur la situation politique. Ses derniers ouvrages parus sont 1968. De grands soirs en petits matins (Seuil, 2018 ; rééd. 2020), La Commune au présent. Une correspondance pardelà le temps (La Découverte, 2021), Face à Ia menace fasciste. Sortir de l'autoritarisme (avec Ugo Palheta, Textuel 2021) et L'Ensauvagement du capital (Seuil, 2022).