Brève histoire des revendications institutionnelles du mouvement abertzale pour le Pays basque Nord
Depuis sa naissance, le mouvement abertzale d'Iparralde, tout en revendiquant la libération nationale et l'indépendance du Pays Basque, a cherché à définir des étapes intermédiaires pour la reconnaissance politique du Pays Basque Nord. Pour ce faire, il a formulé de nombreuses revendications institutionnelles.
Ce fut tout d'abord le département basque par le mouvement Enbata. Il a été repris par des élu.es et responsables économiques, ainsi que par le parti socialiste à la fin des années 70, sans jamais faire l’objet de mobilisations populaires. En 1981, Mitterrand devient président de la République et sur les 110 propositions de son programme figure le département basque. Cependant, en 83, il enterra cette option, notamment pour des raisons diplomatiques (les relations avec l’Espagne et la lutte anti-terroriste).
En 74, EHAS (parti socialiste du Pays Basque) nouvellement créé mit sur la table le Département-Région, arguant qu'une institution spécifique était nécessaire pour le Pays Basque nord. Ce parti a également utilisé le concept de statut d'autonomie lors des élections de 78.
En 83, l’organisation politico-militaire Iparretarrak lançait la revendication d'autonomie, non pas tant pour ses compétences concrètes, mais comme un instrument politique pour relier les luttes et rassembler les forces face à État français.
En 86 naissait le parti Euskal Batasuna qui voulut redonner de l’importance à la question de l'institution du Pays Basque nord quelque peu oubliée, en reprenant le projet d'EHAS (Département-Région), c'est-à-dire une structure politico-administrative singulière mais acceptable dans les limites de la législation française.
En 89, EMA (Mouvement Abertzale de Gauche, créé en 85) allait plus loin avec la proposition d’un Biltzar d'Iparralde, intégrant certaines compétences de l’État. Il entreprit diverses initiatives afin de socialiser ce nouveau concept.
En octobre 1990, le collectif Oldartzen lançait un appel à la coordination de la gauche abertzale sur les 7 provinces, soulignant le besoin d’une seule revendication institutionnelle pour une dynamique unitaire en Iparralde.
En septembre 91, EMA et Euskal Batasuna faisaient connaître publiquement leur volonté de travailler en commun et évoquaient le Biltzar du Pays Basque nord comme base politique de ce travail.
La veille de l'Aberri Eguna 93, à l'occasion de son 20ème anniversaire, IK rendait public un projet détaillé de statut d'autonomie invitant tout le mouvement à en débattre. L'association Eraikitzen fut créée à cet effet pour organiser le débat. Un an plus tard, elle présentait un projet plus complet. Par la suite, EMA décidait de défendre ce projet. En 95, une campagne de popularisation était menée,qui se terminant par une manifestation (300 personnes).
En 94, dans le livret publié lors de sa présentation, le nouveau groupe Herriaren Alde (HA), évoquait la nécessité dans la phase politique en cours, d'une institution spécifique pour la reconnaissance territoriale du Pays Basque nord .
En janvier 95 dans la plate-forme politique approuvée par la coalition Abertzaleen Batasuna, il était fait mention du Biltzar du Pays Basque nord.
En 95/96, la Coordination nationale de la Gauche Abertzale (EMA, EB, HA, HB) menait une réflexion sur l'institution, à partir des débats et des contributions précédentes, bien consciente de l'importance de cette question et en cherchant à surmonter les divisions qui avaient perdurées jusqu'alors. A l’issue, une proposition commune (« Construire le Pays Basque, un scénario d’avenir ») était présentée en octobre 96, invitant l'ensemble de la société à s’en saisir pour la compléter. Le document ne proposait pas une étape concrète (une nouvelle revendication institutionnelle, concrète et juridique), mais une voie regroupant les fondamentaux nécessaires à l’avancée du projet politique abertzale. Par la suite, le travail politique principal des abertzale commençait à se concentrer sur cette question, à travers notamment Abertzaleen Batsuna (AB) qui s'organisait en tant que mouvement. La reconnaissance du Pays Basque Nord (l’obtention d'une institution spécifique) devenait alors un axe permanent et prioritaire de lutte au sein du mouvement abertzale.
En 97 AB menait une campagne « L'Institution Basque maintenant ! » avec une manifestation en mars à Bayonne (1000 personnes).
En décembre 97, le Congrès fondateur d’AB (en tant que mouvement et plus seulement coalition électorale) votait le lancement d'une campagne en faveur du Département Pays basque (à quelque voix près, face à une motion défendant une « institution spécifique ») et de l'officialisation de la langue basque.
Le 30 janvier 99, AB organisait une manifestation en faveur du Département et de l'officialité de la langue basque (6000 ?). En octobre, la plateforme « Appel des 100 » créée en cours d’année organisait une manifestation en faveur du Département (12000 ?).
En 2002, la plateforme BATERA était créée par quatre secteurs de lutte et inscrivait le Département Pays Basque parmi ses quatre demandes.
En 2004, le 1er avril, les groupes politiques AB, Batasuna (issue en Iparralde d’une scission d’AB), EA et Matalaz présentaient publiquement le projet d'une Collectivité Territoriale du Pays Basque Nord comme une revendication propre aux abertzale.
En 2007, Batasuna reprenait à son compte la revendication d'autonomie et organisait une manifestation en sa faveur (800 personnes).
En 2009, BATERA se fixait comme objectif une Collectivité Territoriale à statut particulier, à l'occasion de la réforme des institutions françaises qui annonçait la disparition du département.
En 2012 : le Conseil de Développement et le Conseils des Élus, après enquête juridique et politique, se prononçaient en faveur de la Collectivité Territoriale à statut particulier.
En 2012, EH Bai défendait la Collectivité Territoriale Autonome à larges compétences lors des élections législatives.
En 2015, tout en réaffirmant son attachement à la Collectivité Territoriale à statut particulier BATERA se déclarait en faveur d’une communauté de communes unique parmi les propositions faites par le préfet suite au refus d’un statut spécifique pour la Pays Basque Nord par le gouvernement socialiste. Dans les mois qui suivirent, BATERA menait une campagne active en sa faveur.
A différentes époques, quand la rivalité entre les mouvements politiques dominait plutôt que l'unité, la revendication institutionnelle remplissait la fonction de « totem », chacun défendant la sienne. De même, pendant longtemps les difficultés perdurèrent pour passer de la définition d’une revendication à la construction d'une stratégie pour y parvenir. Il fallut attendre fin des années 90, pour que la revendication institutionnelle devienne un thème central du mouvement abertzale et une campagne permanente de mobilisation.
A l’origine revendication portée par les abertzale, l’opinion et le soutien en sa faveur s'étendirent peu à peu, tant parmi les élu.es que dans la société. Pour ce faire, des regroupement de forces ou des plateformes furent mises en place afin d’élargir la mobilisation (Appel des 100, BATERA). Dans les années 2000, les mobilisations populaires ont été multiples et constantes. Le sujet avait alors acquis une centralité importante dans la vie politique du Pays Basque nord. En 2011, avec la fin de la lutte armée, les dernières réticences se dissipaient, ouvrant la voie à la « Coordination Territoriale » de tous les acteurs (Conseils de Développement et des Élus, Chambre de Commerce, Biltzar des Maires et BATERA).
L'accumulation des forces réalisé ne fut cependant pas suffisant pour ouvrir une négociation avec le gouvernement socialiste. Au lieu d'une collectivité territoriale à statut particulier, il proposa de regrouper les dix communautés de communes existantes en une seule ou en trois. Les élu.es et la plateforme BATERA, souvent à contrecœur, optèrent pour la première option. Et la bataille finale s'engagea pour que les conseils municipaux votent en sa faveur (condition légalement indispensable).
Le 1er janvier 2017 la Communauté d'agglomération Pays Basque, première institution d'Iparralde était officiellement créée.