Adieu les enfants !

Depuis le début de leur action, les Gilets jaunes ont montré leurs préoccupations écologiques dans le cadre du changement politico-social nécessaire à la construction d’un autre monde plus juste. Ces préoccupations ont même été utilisées par divers groupes, dont Extension Rébellion dont on a pu constater qu’ils étaient animés d’autres idéaux que les nôtres, la préoccupation écologique effaçant l’indispensable revendication de justice sociale et de droits humains. Mais en quels termes poser ladite transition écologique nécessaire à la survie de l’espèce humaine ?
{up readmore=Laburpena euskaraz | textless=Laburpena hetsi | class=up-readmore resume-eus} Mugimendua hasi zenetik, Jaka horiek beren kezka ekologikoak erakutsi dituzte beste mundu justuago bat eraikitzeko beharrezkoa den aldaketa politiko-sozialaren esparruan. Kezka horiek hainbat taldek ere erabili dituzte, tartean Extension Rébellion, bainan beste ideal batzuk, gureak ez bezalakoak, dituztela erakutsiz, haientzat kezka ekologikoak ezabatzen baitu justizia sozialaren eta giza eskubideen aldarrikapen ezinbestekoa. Baina zer erran nahi du giza espeziea bizirik irauteko behar den trantsizio ekologiko horrek? {/up readmore}
La lecture d’un article de la docteure en sciences sociales, Francine Mestrum, enseignante à l’université libre de Bruxelles, nous amène à nous poser la question de ce qu’il faut réellement faire. Elle pose le problème en ces termes : « Nous savons ce qui doit être fait, mais nous ne le faisons pas, en partie parce que nous ne voulons pas, en partie parce que nous ne pouvons pas et en partie parce que nous ne savons pas comment. » Si elle constate que les scientiffques font un excellent travail, notamment les rapports rédigés par le Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC), elle pose la question de l’action des politiques concernant l’utilisation de ces données : « Mais le font-ils ? Dans une mesure sufffsante ? » Et elle assène un « non catégorique » aux deux questions. Et relève le fait que depuis la première conférence des Nations unies sur le développement et l'environnement en 1972, « des milliers de mouvements se sont mobilisés pour faire prendre conscience de la crise imminente et de la nécessité de changer notre système économique et social. » Mais que, parallèlement, l’action des pouvoirs reste insufffsante.
A titre d’exemple
Pour étayer son raisonnement, elle choisit trois exemples signiffcatifs qui remettent certaines réalités en place. D’abord la décroissance, idée issue du Club de Rome en 1972 qui constate que, avec une croissance illimitée, certaines matières premières pourraient s’épuiser. Cela s’oppose à la version de la Banque mondiale qui afffrme qu’il ne s'agit pas de produire moins pour protéger l'environnement, mais de protéger l'environnement pour que la croissance reste possible. Il y a sur ce point une opposition entre la Banque mondiale et le FMI d’une part et le GIEC d’autre part qui maintient qu’il n’y a plus de place pour la croissance. Mais dans un monde où plus de 1 milliard de personnes vit dans un état de pauvreté extrême, comment empêcher le désir d’accéder à un mieux-être et donc à l’inévitable croissance que cela exige ?
Nous savons ce qui doit être fait
mais nous ne le faisons pas.
Ensuite, l’extractivisme pose un autre problème majeur. Francine Mestrum fait référence notamment au documentaire de Michael Moore qui montre que l’énergie éolienne, le solaire ou encore la biomasse posent autant de problèmes que les énergies fossiles. Parce que ces solutions exigent justement l’extraction massive de minerais tels que le lithium ou le cobalt. Une enquête révèle que pour passer au tout-électrique en matière d’automobile demanderait que l’on extraie dans les trente prochaines années plus de cuivre que l’on n’en a extrait depuis le début de l’humanité affn de conduire l’électricité aux chargeurs nécessaires pour recharger les batteries. Il faut rappeler que les autres solutions envisagées, hydrogène vert ou bleu, captage et stockage de CO 2 ou encore fusion nucléaire sont loin d’être au point et qu’il n’y a donc pas de solution à court terme alors qu’il y a urgence climatique.
Pour être un habitant du bord de l’Atlantique, j’ai l’habitude de contempler régulièrement cette force immense qui est en face de moi. Il y a en France une seule usine marémotrice, ouverte en 1966, à l’embouchure de la Rance. Avec les technologies de l’époque, elle assume un coût de production de 0,018 euro du kilowatt, soit trois fois moins cher que le nucléaire. Et il existe aujourd’hui des technologies nouvelles, notamment turbines fonctionnant sous l’eau, qui permettraient de mieux faire sans pour autant condamner l’embouchure d’un euve à la navigation. L’Océan, c’est vingt heures de mouvements de marées quotidiennes, non soumises à la météo, c’est considérable, et sur des milliers de kilomètres. Il est vrai que le secteur privé a boudé cette solution, probablement en raison de la difffculté à «privatiser » l’Océan.
Le secteur privé a boudé cette solution, probablement en raison de la difficulté à « privatiser » l’Océan.
Il existe aussi, comme en Bolivie, dans un pays relativement montagneux, la possibilité de construction de micro centrales sur des cours d’eau de montagne qui sufffraient à alimenter de nombreux secteurs avec un transport d’énergie limité, donc moins coûteux. Ces solutions sont à envisager sérieusement.
Quant au nucléaire, il est bien évident qu’il n’est pas la solution miracle. Sa dangerosité n’est plus à prouveret le démontage des centrales, qui sera conffé aux générations futures, n’est pas plus au point que le retraitement des déchets. Faut-il les arrêter de suite ? Non, le mal est déjà fait, mais il s’agit de remplacer leur production au fur et à mesure d’une ffn raisonnable de leur exploitation. Et surtout de proffter de ce temps pour investir dans le secteur public de l’énergie affn de trouver de réelles solutions, marémotrices notamment, parce que l’on ne peut pas conffer cela au privé.
Le troisième point, dérivé du précédent, concerne les habitudes de consommation et donc la manière de vivre. Mais les humains sont-ils prêts à abandonner leurs habitudes, à consommer moins de viande, à se passer de voiture, à ne plus prendre d’avion et à renoncer aux matières plastiques ? Rien n’est moins sûr. Et les messages incitatifs, type nudging (1), risquent fort d’être insufffsants face aux appétits des grandes entreprises minières ou encore à la folie du tourisme spatial promu par Elon Musk ou Jeff Bezos. Et que dire du secteur numérique, en particulier des cryptomonnaies sur lesquelles se jettent les spéculateurs et qui demandent une consommation énorme d’énergie ?
Les grands rendez-vous inutiles
La réunion de la COP 21 avait semblé susciter une vague d’espoir, les pays présents s’engageant à diminuer notablement leurs dégagements de CO 2 et autres polluants. Mais qui a respecté cet engagement ? En tout cas pas la France bien que la réunion ait été présidée par un certain Laurent Fabius, éternel « responsable mais pas coupable ». La montagne a encore accouché d’une souris.
Et que dire de la récente COP 26 à Glasgow qui a compté avec la présence de 503 groupes de pression défendant les énergies fossiles ? Les larmes de désolation du président de l’événement, Alok Sharma, ont été très signiffcatives sur ce point, les lobbies des énergies fossiles ont gagné la bataille au nom de la « nécessité » économique, comprenons l’appétit sans ffn des actionnaires.
Solution miracle ou fuite en avant ?
Les fortes mobilisations qui se sont produites lors de la réunion de la COP 26 de Glasgow montrent qu’il y une préoccupation populaire de plus en plus importante. Mais que peuvent faire ces mouvements face à la machine capitaliste ? On voit que les luttes menées par les mouvements indigènes, sur tout le continent américain notamment ou encore en Indonésie, se soldent par des assassinats de militants par des bandes armées au service des transnationales, assassinats qui restent impunis avec la complicité des gouvernements qui jurent leurs grands dieux qu’ils sont préoccupés par l’urgence de la situation. Même les mouvements progressistes qui concoctent des projets ambitieux n’ont aucune stratégie pour les mettre en place. Faut-il pour autant renoncer en se disant que nous sommes allés top loin et que nous ne reviendrons pas ? Le secteur privé a boudé cette solution, probablement en raison de la difficulté à « privatiser » l’Océan.
Faut-il se faire au fait que le développement des uns a pour corollaire l’appauvrissement des autres ? Ou encore doit-on donner foi aux afffrmations de ce milliardaire étasunien qui déclarait que la Terre ne seraitviable qu’avec une population de 600 millions d’habitants ? Et dire adieu aux prochaines générations ?
La solution est ailleurs, et notamment dans le changement le plus rapide possible des pouvoirs en place, gangrénés par les lobbies économiques qui continuent l’encourager un enrichissement aussi obscène qu’inutile de nantis pour qui la vie se limite à un Monopoly dont l’enjeu est la vie de ceux qui travaillent pour eux. C’est ce que nous vivons depuis des dizaines d’années en fermant les yeux et en faisant semblant de croire qu’il y a eu une alternance gauche/droite à l’Élysée et à Matignon, alors que... Non, c’est la place des classes populaires qui importe, de leurs besoins et de leur satisfaction, et donc de leur association à toute décision. Avec quels moyens ? A quoi servent les centaines de millions de Musk, Bezos ou Zuckerberg voués à une spéculation effrénée au lieu d’être consacrés aux indispensables changements nécessaires à la survie de l’humanité ? Les sommes obscènes engrangées par les principaux riches et que l’on ne retrouvera qu’en spéculations diverses, en France comme ailleurs, n’ont aucune raison d’être. La richesse est produite par les classes populaires, cet argent leur appartient et doit être mis au service de leur bien-être, présent et futur. Alors il faudra éventuellement réquisitionner une bonne partie de ces fortunes inutiles, sans quoi rien ne sera possible. Et construire un Etat où pouvoir et lobbies ne fassent plus qu’un, sous notre contrôle. Des propositions existent en ce sens dans la campagne présidentielle.
Et les Gilets jaunes ?
L’apparition de la Covid a passablement enrayé la machine qui cherchait déjà un second souffle. La répression à outrance de l’Etat policier en place avait auparavant entamé sérieusement les mobilisations. Les Gilets jaunes se sont toujours inscrits dans le changement de pouvoir par l’action de masse. La prochaine AdA (Assemblée des assemblées) se tiendra à Bruxelles, avec pour beaucoup une frontière à franchir ce qui ne facilitera pas la participation de celles et ceux qui ne bénéffcient pas du passe sanitaire, ou vaccinal.
Une autre réunion est prévue dans l’Hérault, au début de février, où l’on parlera plus de stratégies et de décisions communes. Il serait idiot de croire que ce qui n’a pas marché une fois marchera la suivante. Mais comme aucun bilan commun n’a été tiré depuis plus de deux ans, il est difffcile d’enclencher quelque chose de nouveau. Il y a des idées qui apparaissent dans des textes, sur les sites internet, mais la construction d’une nouvelle démarche passe par la rencontre. Et surtout par une prise de décision commune qui ne peut plus attendre. Si Macron et ses golden boys restent à la tête de l’Etat, le pire des scénarios catastrophes est à envisager pour le peuple. Les élections présidentielles seront donc bien en ligne de mire avec de nécessaires positionnements.
La lutte des Gilets jaunes s’inscrit totalement dans ce combat où nous avons bien compris que ce sera eux ou nous.
La lutte des Gilets jaunes s’inscrit totalement dans ce combat où nous avons bien compris que ce sera eux ou nous, un combat qu’il nous faut reprendre au plus vite, l’intensité de la répression menée par le pouvoir montrant que ce qu’il redoute le plus c’est bien cette saine colère populaire qui peut nous emmener à renverser des montagnes. Encore faut-il s’organiser différemment, c’est l’un des enjeux majeurs de ces prochaines rencontres.
Il est bien clair qu’il ne sufffra pas de changer la politique environnementale et comportementale dans un seul pays pour que la planète soit sauvée. Mais il faut bien commencer quelque part. Et pourquoi pas ici et maintenant ? Ça peut faire tâche d’huile, comme ça peut conduire à un isolement politique et économique, ou à la construction d’autres partenariats. L’enjeu en vaut la chandelle.
(1) Un nudge est une incitation douce donnée à un individu pour qu’il modifie son comportement, comme naguère la mouche dessinée dans les urinoirs.