Au nom de la Palestine niée
Suite à l’acte de guerre du Hamas le 7 octobre dernier, un déferlement politico-médiatique (1) nous a submergé que l’on pourrait résumer ainsi : « Suite aux attaques terroristes du Hamas le 7 octobre 2023, Israël a le droit légitime de se défendre ». Il s’en est fallu de peu que cela ne se transforme en un « Nous sommes tous israéliens » à l’instar du « Nous sommes tous américains » au lendemain des attentats du 11 septembre 2001 ou « Nous sommes tous Charlie » suite au massacre du 7 janvier 2015.
1 Guerre Israël-Hamas : « Pour défendre la paix, il faut d’abord reconnaître qu’une vie vaut une autre vie » Un collectif de dix universitaires, parmi lesquels les politistes Bertrand Badie et Réjane Sénac, le philosophe Etienne Balibar et l’historien Jérôme Segal, appellent à la vigilance, dans une tribune au « Monde », face à un traitement médiatique et politique de l’attaque terroriste du Hamas contre Israël, qui ne traite pas, selon eux, de la même manière toutes les victimes. Le Monde. 16 octobre 2023.
2 Bassen Youssef interviewé par Piers Morgan. https://www.google.com/search?client=firefox-b-d&q=bassen+youssef+piers+morgan+#fpstate=ive&vld=cid:a4036e05,vid:WX_zJgrrqMU,st:0
3 Guerre au Proche-Orient : les mots et l’histoire du conflit. Bertrand Badie. Médiapart. A l’air libre. 19 octobre 2023.
https://www.mediapart.fr/journal/international/191023/guerre-au-proche-orient-les-mots-et-l-histoire-du-conflit
4 Résolutions de l’ONU non respectées par Israël. Le Monde diplomatique. Février 2009. https://www.monde-diplomatique.fr/2009/02/A/16775
5« Terrorisme », « crimes de guerre » ou « crimes contre l’humanité » ? Les mots justes pour qualifier les violences. Jérôme Hourdeaux. Médiapart. 15 octobre 2023. https://www.mediapart.fr/journal/international/151023/terrorisme-crimes-de-guerre-ou-crimes-contre-l-humanite-les-mots-justes-pour-qualifier-les-violences
6 Les Indiens de Palestine. Entretien Gilles Deleuze-Elias Sanbar (1982). Le club de Médiapart.23 octobre 2023. https://blogs.mediapart.fr/les-invites-de-mediapart/blog/231023/les-indiens-de-palestine
Guerre Israël-Hamas : « Un crime est un crime, mais il ne faut pas faire preuve d’amnésie ». Entretien avec Xavier Guignard. François Bougon . Médiapart.11 octobre 2023. https://www.mediapart.fr/journal/international/111023/guerre-israel-hamas-un-crime-est-un-crime-mais-il-ne-faut-pas-faire-preuve-d-amnesie
Israël-Palestine : la question morale. Edwy Plenel. Médiapart. 22 octobre 2023. https://www.mediapart.fr/journal/international/221023/israel-palestine-la-question-morale https://www.facebook.com/watch/?v=882470453522218
Michel Warschawski : « Nous avons dépassé les crimes de guerre à Gaza ». Entretien avec l’écrivain et journaliste israélien Michel Warschawski. Médiapart. 28 octobre 2023. https://www.mediapart.fr/journal/international/281023/michel-warschawski-nous-avons-depasse-les-crimes-de-guerre-gaza
Au nom de la Palestine niée.
Et le souvenir confiera ses pensées : nous sommes nés
Aux temps de l’épée et de la flûte,
Entre figues et figuiers de barbarie. La mort était
Plus lente.
Elle était plus nette. Elle était une trêve pour les passants
A l’embouchure du fleuve.
Désormais, tout est machinal.
Aucun assassin ne prête l’oreille aux victimes,
Nul martyr ne donne lecture de son testament.
Mahmoud Darwich. Murale. Traduction : Elias Sanbar.
Peu importe que la riposte israélienne soit complétement dévastatrice et indifférenciée contre la population de Gaza puisque comme le dit si affectueusement le premier ministre intègre israélien Netanyahou : « On a en face de nous des animaux humains ». Soit dit en passant, la « horde terroriste » du Hamas que le même Netanyahou a largement contribué à mettre en place, via le financement du Qatar – tiens le charmant pays des droits de l’homme accueillant la dernière coupe du monde de football- pour affaiblir l’Autorité palestinienne et torpiller les accords d’Oslo ainsi que le projet politique de deux Etats.
Israël a le droit de se défendre. Soit, mais sommes-nous devenus amnésiques à ce point ? Le conflit israélo-palestinien a-t-il commencé le 7 octobre 2023 ? Dans cette Histoire, qui est agresseur ? Qui est agressé ? Quel est le peuple qui depuis la création de l’Etat d’Israël a été condamné à l’exil ? Le déplacement hors de leur terre de milliers de palestiniens en 1948, désigné par le terme de Nakba, est-il le fait des palestiniens eux-mêmes ? Le massacre perpétré en 1982 dans les camps palestiniens de Sabra et Chatila à Beyrouth-Ouest -Qui s’en souvient ?- lors de l’intervention militaire israélienne au Liban faisant, selon les estimations, entre 450 et 3500 mort.es, est-il un fait historique ou rétroactivement une vue de l’esprit ? L’installation à un rythme effréné d’israélien.nes ces dernières années en Cisjordanie, territoire palestinien non contrôlé à ce jour par le Hamas, - on parle à ce jour de 500 mille colons israéliens en Cisjordanie- est-il le fruit d’une volonté politique palestinienne ? Dans ces zones de fait colonisées et annexées par Israël, combien de civils palestiniens tués en 2023 avant le 7 octobre noir? On parle de 250 mort.es palestinien.nes en Cisjordanie depuis le début de l’année 2023. Une fake-news sans doute. Arrêtons-là le macabre décompte. Un.e tué.e est un.e mort.e. Qu’il ou qu’elle soit enfant, adulte, vieillard. Qu’il ou qu’elle soit civil.e ou militaire. Qu’il ou qu’elle soit israélien.ne ou palestinien.ne. Mais enfin, tout de même, interrogeons-nous à l’instar de l’humoriste égyptien Bassen Youssef (2), à qui on demandait quelle devait être la riposte proportionnée d’Israël suite à l’attaque du 7 octobre dernier: « Déterminons quel est le taux de change aujourd’hui pour une vie humaine, pour que nous puissions évaluer le nombre de morts palestiniens à venir, et nous en satisfaire… ». Depuis le 7 octobre 2023, 1 israélien.ne pour 8 palestinien.nes d’après le chiffre qui ne cessera d’évoluer, n’en doutons pas. Je n’ose faire le décompte depuis le début du conflit israélo-palestinien. C’est à mourir de rire, convenons-en.
Israël a le droit de se défendre. Soit, mais Israël est-il occupé ou occupant ? Depuis 1967, la Cisjordanie, le plateau du Golan et la bande de Gaza sont des territoires occupés. Ce n’est pas moi qui l’affirme, mais la Cour Internationale de Justice dans un avis de 2004. Le sociologue Bertrand Badie (3), professeur émérite à Sciences Po, parle sans ambiguïté de régime d’apartheid. Depuis 1947, près de 35 résolutions de l’Assemblée Générale puis du Conseil de Sécurité des Nations Unies (4) ont été votées en vain pour tenter de résoudre le conflit israélo-palestinien dont la Résolution 641 du 30 août 1989 : le Conseil de Sécurité des Nations Unies « déplore qu’Israël, puissance occupante, continue d’expulser des civils palestiniens » et lui demande d’assurer le retour de tous les expulsés. Ou encore la Résolution 1435 du 24 septembre 2002: le Conseil de Sécurité des Nations Unies exige « le retrait rapide des forces d’occupation israéliennes des villes palestiniennes ». Il demande à l’Autorité palestinienne de « faire traduire en justice les auteurs d’actes terroristes ». A quels actes terroristes faisait allusion le Conseil de sécurité ? Aux actes terroristes du Hamas ?
Dans ce « conflit préexistant » -c’est le moins qu’on puisse dire- comme l’explique Julia Grignon (5), professeure de droit international humanitaire à l’université Laval et directrice de recherche à l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (Irsem), il me semble pour le moins irresponsable de se focaliser uniquement sur les événements tragiques du 7 octobre et le caractère terroriste indéniable de l’acte de résistance du Hamas. Surtout que, comme le rappelle Julia Grignon, il n’y a à ce jour que « Quatre crimes punissables : l’agression, le crime de guerre, le crime contre l’humanité et le génocide ». Le terme de terrorisme n’a aucune valeur juridique sur le plan international. Elle n’a jamais pu être actée, car nombre d’Etats s’y sont toujours opposés, craignant d’être poursuivis pour terrorisme d’Etat précisément. Si l’on se contente de cette rhétorique, depuis 75 ans de conflit israélo-palestinien jusqu’aux dernières exactions depuis le 7 octobre 2023, n’y aurait-il rien qui relèverait d’actes de terrorisme de la part du gouvernement israélien? Même depuis le 7 octobre ? Une fois de plus, en résumant le fond du problème au terme de terrorisme, en une guerre entre le Bien et le Mal, la bonne conscience individuelle et collective s’en tire à bon compte. Nous en savons quelque chose en Pays basque.
Qu’a à gagner Israël à vouloir se construire sur l’anéantissement du peuple palestinien ? Qu’a à gagner Israël à vouloir imiter son grand mentor américain qui s’est édifié sur l’écrasement et la mise en réserve des peuples autochtones ? Mais, à vrai dire, au-delà des intérêts d’un capitalisme décadent et mortifère qui tirent une fois de plus tout bénéfice de la situation (dans la période propice actuelle, au vu des sommes allouées à l’industrie de l’armement par les Etats du monde dans l’indifférence générale, le capitalisme a de quoi se réjouir, mais proprement car il est vrai qu’on réfléchit déjà à la fabrication d’armes écologiques…), n’est-ce pas pour cela que les Etats-Unis soutiennent inconsciemment et aveuglément Israël qui agit envers les palestiniens comme les colons américains vis-à-vis des indiens (6) ?
Qu’avons-nous toutes et tous à gagner de ce fiasco ? Je suis dévasté par cet acharnement inhumain et destructeur. Je n’arrive pas à comprendre comment un peuple qui a autant souffert dans sa chair et son existence même -je compatis avec les pacifistes israéliens- puisse reproduire quelques décennies plus tard le même désastre. Comme le disait l’autre célèbre humoriste Guy Bedos dans une de ces diatribes scéniques dont il avait le secret, au lendemain du massacre de Cana au sud-Liban par l’armée israélienne en 1996 (il y en eu un autre au même endroit en 2006) : « Même juif, on n’est pas sûr d’être du bon côté du mirador ». Mais Guy Bedos serait sans doute aujourd’hui condamné en France par la police de la pensée -pour reprendre les propos de Bertrand Badie- pour antisémitisme, voire apologie du terrorisme.