Le projet BURUJABE du mouvement BIZI ne permet pas de reprendre possession de nos vies

Critique du projet « BURUJABE Reprendre possession de nos vies » de BIZI (2)
Nous faisons des critiques radicales à de nombreuses idées de ce projet, tout en étant ouverts au dialogue avec les militantes et militants de BIZI.
La base idéologique de BIZI se construit autour de l’idée que le problème central de l’humanité c’est le réchauffement climatique : « Pour la première fois de l’histoire de l’humanité se pose un défi à solidarité mondiale obligatoire : le changement climatique » (page 10). Nous pensons qu’il y a depuis longtemps de nombreux autres défis à solidarité mondiale « obligatoire ».
Nous constatons avec BIZI que « l’ensemble de la population mondiale consomme 1,7 planètes », que « notre niveau de consommation » induit « la misère des pays du Sud et d’une partie grandissante de la population des pays du Nord », et que « nous sommes touchés par une maladie mentale collective qui nous pousse à consommer toujours plus » (p 29). Mais nous constatons aussi que nous sommes touchés par une maladie mentale collective beaucoup plus grave qui nous pousse à consommer toujours plus de travail d’autrui, et que cette maladie c’est chacun d’entre nous qui la propageons par notre mode de vie.
« Nous en guérirons par la construction de solidarités et de liens sociaux » nous dit BIZI (p 29). D’accord si « solidarité et lien social » veulent dire absence d’exploitation d’autrui, mais BIZI ne précise pas ce principe dans sa proposition de « démarche porteuse d’éthique et d’espoir ». Ainsi, la « réduction indispensable de notre consommation » est justifiée par BIZI principalement par son impact environnemental, à notre avis pas du tout assez par son impact humain.
BIZI nous dit que « le développement technologique ne peut être considéré comme un progrès que s’il contribue à l’amélioration des conditions de vie de l’ensemble de la population » (p 30) et que « la technologie peut parfois être inappropriée, coûteuse et contre-productive » (p 31). Nous pensons qu’elle n’a jamais contribué à l’amélioration des conditions de vie de l’ensemble de la population, qu’elle est presque toujours très coûteuse humainement et écologiquement, et qu’elle est très souvent inappropriée, car le premier objectif de la technologie, c’est-à-dire des techniques modernes et complexes, n’est-ce pas d’augmenter les profits capitalistes ?
BIZI propose un peu plus loin d’utiliser des techniques « appropriables et utilisables partout, non risquées ». Nous partageons cette idée fondamentale et nous sommes disposés à définir avec BIZI quelles peuvent être ces techniques.
BIZI suggère une sobriété énergétique, « démarche de modération qui se propose de définir les besoins essentiels et d’envisager la consommation énergétique en fonction de ces besoins » (p 31). Mais en suggérant une « moindre dépendance aux énergies fossiles » (p 19), on reste toujours dépendant aux énergies fossiles, très dépendant ; en proposant « un modèle de tourisme moins polluant et moins destructurant pour la société » (p 23) pour « ne pas sacrifier Euskal Herria au tourisme » (p 27), on reste toujours avec un modèle polluant, très polluant.
BIZI nous dit qu’« on ne construira pas une mobilité écologiquement et socialement soutenable en s’appuyant seulement sur la voiture électrique ou hybride » (p 23), mais en s’appuyant quand-même dessus, car pour BIZI, qui a surtout un point de vue urbain, « bien sûr, la voiture a permis un désenclavement des zones les plus rurales d’Euskal Herria et une amélioration significative de la qualité de vie de leurs habitantes et habitants » (p 23). Nous on ne sait même pas comment construire des vélos électriques sans polluer la planète. De plus, on pense que le développement de l’usage de la voiture est depuis ses débuts l’un des principaux facteurs de dégradation de la qualité de vie des habitantes et habitants de la planète, car ce que ce développement suppose en terme d’exploitation humaine et de destruction de la planète est colossal. Nous en faisons quand-même usage, mais en gardant cette idée en tête et en construisant donc des alternatives réelles.
Si on bouffe 1,7 planètes, moindre et moins ne vont pas suffire. Soyons réaliste, même si ce n’est pas politiquement correct, la sobriété énergétique doit être une démarche d’extrême modération, ou cela ne résout rien. Le tourisme, c’est le voyage pour le plaisir. Le salut est dans l’extrême modération des plaisirs égoïstes.
« L’énergie devra provenir principalement du soleil, du vent, de la biomasse et des rivières » (p 8) nous dit BIZI, sans souligner que la production et l’usage de ces énergies peuvent aussi être très polluants, et sans mentionner deux sources d’énergie non polluantes que son l’énergie humaine et animale pour par exemple travailler la terre.
La réflexion doit en effet porter sur « les besoins essentiels » (p 31). Pour nous, l’un des premiers, c’est le besoin de vivre sans exploiter directement et/ou indirectement autrui, c’est-à-dire de vivre en coopérant avec autrui. La coopération c’est le contraire de l’exploitation ; ce n’est pas comme dit BIZI un « partage d’espace de travail » (p 32), mais un espace où le travail est partage. On préfère ce que dit BIZI un peu plus loin : « La concurrence doit s’effacer devant les logiques de partage (notamment partage des excédents), de mutualisation, de réciprocité » (p 39). A notre avis, l’idée serait excellente sans le contenu de la parenthèse, ou si dans la parenthèse on écrivait notamment partage du peu que l’on a.
BIZI souhaite « la remise en question du sens du travail », ce qui à notre avis est une très bonne idée, mais dans la même phrase BIZI dit aussi souhaiter « le passage à une logique industrielle collaborative » (p 36), alors qu’il est à notre avis nécessaire de passer à une logique anti-industrielle collaborative, et de remettre en question la société industrielle, comme le font de nombreux livres des maisons d’éditions que sont l’Encyclopédie des nuisances, Pièce et main d’oeuvre, La lenteur, L’échappée…
D’ailleurs BIZI avance une idée qui va dans ce sens : « nos modes de déplacement sont moins adaptés à nos besoins et intérêts qu’à ceux de l’industrie automobile » (p 24), mais ne précise pas que l’idée est valable pour l’ensemble de nos activités. En effet, nos modes de soin sont moins adaptés à nos besoins et intérêts qu’à ceux de l’industrie pharmaceutique ; nos modes d’alimentation sont moins adaptés à nos besoins et intérêts qu’à ceux de l’industrie alimentaire ; nos modes de logement, de communication, de divertissement… Bref, nos modes de vie sont moins adaptés à nos besoins et intérêts qu’à l’envie d’argent et de domination des actionnaires de l’industrie.
En faisant la critique de l’économie linéaire, BIZI parle principalement d’« une exploitation sans limite de la nature » (p 36). Nous le répétons, il est à notre sens indispensable de dénoncer avec la même intensité l’exploitation sans limite des travailleuses et travailleurs. BIZI aborde vaguement la question sociale, en proposant notamment de « réduire la part de travail contraint » (p 37). Il faut à notre avis proposer d’éliminer le travail contraint d’autrui. Mais BIZI se limite à « questionner les modèles hiérarchiques » (p 37). Le chapitre se termine en mentionnant que le travail et les relations sociales se sont dégradés ces dernières décennies. Mais il y a quelques décennies n’étaient-ils pas déjà insupportables pour la majorité des travailleuses et travailleurs de la planète ? BIZI pense-t-il vraiment que le travail était jusqu’à peu « synonyme d’épanouissement » (p 50) ?
Nous sommes d’accord avec BIZI lorsqu’il dit que « l’éducation doit jouer un rôle essentiel » (p 39), mais pas lorsqu’il envisage de le faire comme l’état français « dans l’ensemble des établissements scolaires » sans considérer que ces établissements sont en définitive dirigés par l’élite économique pour ses propres intérêts et non pas pour ceux des enfants et des adolescents (lire par exemple l’excellent article www.monde-diplomatique.fr/2010/10/HIRTT/19756). De même selon BIZI « l’émigration économique "choisie" prive les pays les plus pauvres d’une grande partie de leur jeunesse la mieux éduquée ». Faut-il entendre par là que dans les pays "pauvres" la meilleure éducation est l’éducation scolaire ? Nous pensons que l’éducation communautaire autochtone, généralement détruite par les élites économiques et leurs écoles, éduquait bien mieux (le projet d’éducation populaire d’herriBiltza va dans ce sens ; voir herribiltza.eus Euskal Herria ikastegia).
Voilà à notre avis une excellente idée de BIZI à creuser : « On en vient à accepter l’idée que le droit de vivre est conditionné à la production de valeur marchande » (p 42). Mais 5 lignes plus loin on apprend que BIZI envisage de la creuser dans un avenir lointain : « A terme il s’agit de recomposer une économie qui se distancie de la marchandisation ». Pourtant, à notre avis, il s’agit de mettre un terme à la distanciation envers la recomposition d’une économie non-marchande. Autrement dit, nous pensons qu’il faut dès maintenant recomposer une économie alternative au marché et donc à ses catégories que son l’emploi (« Emploi durable » p 17), la vente (« vendre au plus près » p 19), la monnaie (« l’Eusko » p 58)…
Ce n’est qu’à la page 42 que BIZI aborde la question de l’exploitation des travailleurs, mais il l’aborde en parlant uniquement de l’« exploitation de la main d’oeuvre des pays du Sud », pas des pays du Nord.
Nous partageons l’idée de BIZI de se mettre « sur la voie de la sortie progressive de la marchandisation » (p 44) (nous aurions quand même préféré lire de la sortie progressive accélérée de la marchandisation), mais lorsque BIZI passe au concret, les solutions proposées restent totalement dans la marchandisation, car elles se réduisent essentiellement à des impôts :
- à des impôts pour le climat « au niveau des trois entités administratives du Pays Basque » (p 45),
- à « une banque intercommunale de développement financée par les impôts locaux » (p 16),
- à la mise en place de tarifs progressifs pour l’eau et l’électricité qui permettra « de financer les besoins essentiels des plus précaires par les dépenses inutiles des plus aisés » (p 32),
- à « taxer fortement la consommation de luxe » d’eau et d’électricité (p 45) (BIZI s’insurge ici contre « le cadre supérieur qui remplit la piscine de sa résidence secondaire », mais ne mentionne pas toutes les personnes du Pays Basque qui remplissent la piscine de leur maison principale),
- à taxer les « résidences secondaires à un taux décourageant leur multiplication » (p 45),
- à taxer les activités polluantes (p 52),
- à « instaurer une taxation proportionnelle aux émissions dues au transport de produits » (p 21)…
Avec ces propositions de BIZI on en viendrait à souhaiter que les plus aisés fassent des dépenses inutiles car ça permettrait de financer les besoins des plus précaires !
Avec ce projet de BIZI, ceux qui ont beaucoup de pognon volé aux travailleuses et travailleurs peuvent dormir tranquille : ils seront fortement taxés mais pourront continuer leurs consommations de luxe, leurs activités polluantes et le remplissage de leurs piscines !
D’ailleurs, on se demande comment seront-ils fortement taxés. Pour BIZI, « un plafond de revenu individuel, ou une taxation très forte des tranches les plus élevées, doit être imposée » (p 30). Imposée par qui ? Par les impôts ? BIZI nous parle juste avant « de confiscation du pouvoir par une élite économique restreinte ». Alors ces tranches les plus élevées vont s’auto-imposer ? Vont s’auto-impôtser ?
« C’est une autre échelle de valeur qu’il faut imposer, qui place le lien social devant le bien marchand » nous dit encore BIZI (p 33). L’imposition est une valeur de BIZI ?
Il faut aller jusqu’à la page 53 pour enfin trouver l’excellente idée de réintroduire « le consommateur-citoyen dans le processus de fabrication » , autrement dit d’en finir avec la séparation généralisée entre producteurs et consommateurs, comme le font nos amies et amis zapatistes qui exercent pratiquement toutes et tous une production alimentaire quelques heures par jour. On regrette que BIZI n’ait pas été présent lorsque les zapatistes ont récemment traversé l’océan pour venir notamment à la rencontre du peuple basque. On aurait d’ailleurs souhaité lire cette idée en début de projet de BIZI, à la place des idées vagues de « connexion entre producteurs et consommateurs » (p 17) qui ne changent pas grand-chose.
On tombe encore des nues en fin de document, lorsqu’on lit que BIZI est heureux d’apprendre que « San Francisco espère devenir la première ville zéro-déchet » et que « la Californie s’engage à n’utiliser que de l’énergie propre à 100 % d’ici 2045 » (p 57). BIZI oublie que des produits ici consommés induisent généralement d’énormes déchets dans les lieux d’extraction de leurs matières premières, dans leurs lieux de fabrication, dans leurs transports… Et on aimerait vraiment savoir qu’est-ce que c’est pour BIZI une énergie propre : « une énergie renouvelable provenant de sources renouvelables » (p 61) ? La production des éoliennes que le gouvernement de la Communauté Autonome Basque projette d’implanter dans des dizaines de sites et la production des plaques photovoltaïques que le gouvernement de la Communauté Forale de Navarre implantait sur des terres agricoles, se fait avec de l’énergie propre ?
BIZI termine en proposant dans une même phrase (p 63) de « dé-marchandiser l’énergie » et « d’introduire une tarification écologique et sociale » pour payer l’électricité. Va-t-on payer quelque chose qui n’est pas une marchandise ?
Nous sommes comme BIZI tout à fait favorable à l’idée de « reprise de possession de nos vies », et nous partageons quelques unes de ses idées sur la manière de reprendre possession de nos vies, par exemple en constituant « des communautés larges qui soient à même d’assurer le minimum matériel d’une vie digne » (p 8). Mais à notre avis, globalement, le projet « BURUJABE Reprendre possession de nos vies » de BIZI ne permet pas de reprendre possession de nos vies, car il n’analyse pas au préalable en quoi consiste la dépossession de nos vies.
08.09.2023
Commission Euskal Herria Burujabe : Independentzia
herriBiltza