Nouvelle-Calédonie : les colons veulent rester colons. Quel scoop !
Le Non à la souveraineté et à l’indépendance avec 96,5% des suffrages exprimés semble, de prime abord, avoir remporté une victoire aussi écrasante qu’évidente. Devant cette réalité, le peuple kanak se retrouve avec pour partenaires, dans la construction du « destin commun », des individus, tout à leurs affaires et leur train de vie, qui montrent qu’ils n’en ont rien à faire de cet avenir qu’ils disent vouloir construire ensemble. Qui manifestent leur volonté que rien ne change, qui n’ont rien compris, rien appris.
Pourtant, fait quasi unique dans le monde de la part d’un peuple colonisé, le peuple kanak et ses représentants peuvent être fiers d’avoir laissé une place dans le processus de décolonisation aux populations implantées de force et de gré, rassemblées sous l’appellation de « victimes de l’Histoire », et ce, dès 1983, lors de la rencontre de Nainville-les-Roches. Par reconnaissance et au nom du partenariat dans le « destin commun » en construction, les « victimes de l’Histoire » partisanes du maintien dans la République française se seraient grandies en refusant de participer à une consultation dont leur principal partenaire allait être absent, ne serait-ce que pour continuer à avancer ensemble.
Malgré les vents mauvais de la «victoire» écrasante des pro-France, le camp indépendantiste à son complet - que je ne réduis pas au seul peuple kanak - n’a peut-être non seulement pas été vaincu, mais a curieusement encore gagné des points avec son mot d’ordre de non-participation quasi suivi à 100 % (une abstention de 56,1 %, soit multipliée par quatre depuis le référendum de l’an passé, avec, pour mémoire, une population kanak ne représentant environ que 40 % de la population totale du Territoire) et dans un calme serein, malgré les nuées du cyclone annoncé sur le Territoire !
Il suffit d’examiner les résultats : Avec 75 720 électeurs ayant choisi le vote du Non à la souveraineté et à l’indépendance (bien que représentant 96,5 % des suffrages exprimés), c’est un recul de 5 783 voix du Non par rapport au 2e référendum de 2020 ! En comparant les résultats des 3 référendums, le camp du Non a reculé d’un total cumulé de 3 000 voix en trois ans alors qu’entre les 2 premiers référendums le camp du Oui avait déjà gagné plus de 11 000 voix (ce 3e référendum rendant caduc les résultats du Oui du fait de sa non-participation). On peut raisonnablement en déduire que, si le camp indépendantiste avait choisi la participation dans de bonnes conditions de campagne électorale et de vote il aurait très certainement dépassé les 50 % de plusieurs points. Certes un tel résultat aurait eu ses limites - une indépendance «sèche» resterait impensable dans un rapport du type 50/50 % à quelques points près ! Mais il aurait eu une dimension symbolique énorme tout en rendant sa dignité au peuple kanak ; d’où, dans un premier réflexe, une évidente tristesse mais qui doit rester froide et déterminée.
Bien sûr le discours de Macron est insupportable dans sa volonté de faire comme si rien n’était et que tout le « peuple calédonien » s’était valablement exprimé, mais nous, anticolonialistes de la métropole, nous nous attendions à autre chose ? Ce gouvernement a renié le « pacte de Matignon » rappelé par Jean-François Merle, ancien conseiller de Michel Rocard, et l’engagement d’Edouard Philippe en 2019 de ne pas laisser interférer les votes du Territoire avec les échéances électorales hexagonales au nom des événements dramatiques qui s’en sont ensuivis par le passé, dont le drame d’Ouvéa dans l’entre-deux tours Mitterrand - Chirac. Certes le président a un jour à Alger déclaré que « le colonialisme est un crime contre l’humanité », mais peut-être était-ce dû à un coup de soleil momentané ? Tout prouve qu’effectivement la France est déjà entrée en campagne électorale présidentielle, et que c’est à cette aune que le président, en bon racoleur de voix, croit bon de ne pas décevoir électeurs de droite et extrême-droite et de ne surtout pas passer pour le bradeur de « nos colonies ». Les réactions politiques à ce résultat inique (Mélenchon et Poutou mis à part, à ce jour) considérant que le « peuple calédonien » s’est exprimé (de Zemmour, Le Pen, Pécresse, Retailleau, Larcher jusqu’au porte-parole des sénateurs socialistes !), bien qu’attendues, n’en sont pas moins insupportables.
Au premier référendum de 2018, les indépendantistes avaient gagné avec leur score inattendu (du plus du double) quand bien même ils avaient officiellement perdu.
Au deuxième référendum de 2020, les indépendantistes avaient une nouvelle fois gagné en augmentant leur score de plusieurs points prouvant en cela leur capacité d’agréger d’autres populations quand bien même ils avaient officiellement perdu.
A celui-ci, juridiquement légal, mais éthiquement et politiquement nul (comme l’était en son temps le Code de l’indigénat !), c’est-à-dire totalement bidon y compris aux yeux de l’étranger, les indépendantistes ont encore gagné des points en creux (votes du Non en diminution) par leur unité non-violente totale, leur sérénité en prouvant que quoi qu’il arrive ils seront toujours là et qu’aucune issue ne sera trouvée sans eux.
De par leur Coutume, véritable Loi fondamentale de leur société, les Kanak ont la maitrise du temps, y compris du temps long et ils nous apprennent à ne pas trop réagir à l’émotion immédiate, bien compréhensible dans un premier temps mais qu’il faut dépasser. Le camp indépendantiste a choisi de ne plus participer à de quelconques négociations concernant le futur statut jusqu’au résultat de l’élection présidentielle du 24 avril 2022 afin d’être sûr de négocier avec le bon interlocuteur ou la bonne interlocutrice sur une question à ce point de leur avenir. La confiance a été une nouvelle foi piétinée, il faudra du temps mais aussi des gestes forts pour la réinstaurer.
Les «loyalistes» pensent qu’ il en est enfin fini des Accords de Matignon et de Nouméa - enfin «purgés» -. Totalement faux ! Il reste la période de transition jusqu’en juin 2023, officiellement prévue par consensus du dernier Comité des signataires en 2019. Ce Comité que le gouvernement Castex n’a plus réuni est légitime dans la réalisation des dits Accords. Ces prochains 18 mois sont une période durant laquelle les Accords, gravés dans le marbre de la Loi organique relevant de la Constitution française - comme l’a rappelé, sur la chaîne Calédonia, Mathias Chauchat, professeur de droit public à l’Université de Nouvelle-Calédonie -, et leur esprit s’appliquent toujours y compris en termes de corps électoral spécial et autres contraintes. Et évidemment les plus ultras - comme on disait à l’époque de la guerre d’Algérie - du camp du Non vont tenter de dénoncer ces aspects sur le plan juridique !)
Alors félicitons le peuple kanak, sa jeunesse, restée calme en dépit du déploiement quasi guerrier de forces de l’ordre, et leurs alliés de toute communauté pour cette nouvelle victoire en dépit du résultat officiel qui ne trompe que ceux et celles qui veulent faire croire le contraire ; disons au gouvernement français : Vous avez l’air malin avec un Caillou dans la chaussure de plus en plus gros qui vous empêche de marcher, d’autant qu’à l’autre pied vous avez aussi les cailloux de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Guyane, de la Polynésie, de Mayotte et autres confettis de l’empire colonial, bien durcis avec le temps. Et puisque que vous l’avez bien cherché, voire provoqué, débrouillez-vous avec la nouvelle situation !
Comme quoi de réelles victoires peuvent se cacher derrière des défaites affichées. Rien n’est joué, une nouvelle page s’ouvre dans un récit commencé en 1853 et ce ne sont pas les plus fanfarons qui y auront les meilleurs rôles. Certains «loyalistes» ont déjà annoncé qu’en cas de victoire de leur camp, ils allaient, pour soi-disant donner des gages à leurs amis kanak, proposer une autonomie accrue aux 3 Provinces, tout en peinant à cacher leur véritable projet d’éventuelle partition en pis-aller au cas où (ce qui, pour les anciens, n’est pas sans rappeler la proposition du ministre Alain Peyrefitte d’une partition de l’Algérie en 1961 autour d’un réduit français à Oran, avec toutes les horreurs que cela a fait perdurer, y compris après le cessez-le-feu) ! Seule, parmi les anti-indépendantistes, l’organisation centriste Calédonie Ensemble a clairement déclaré être contre toute idée de partition.
Ami.e.s kanak vous serez toujours là, et nous aussi ! A chaque échéance vous prouvez que rien ne peut se faire sans vous !
Et en mémoire d’Eloi Machoro, « La revendication demeure », ainsi que de Jean-Marie Tjibaou « Le sang des morts demeure vivant ».
Vive la Kanaky – Nouvelle-Calédonie souveraine, dans un éventuel partenariat ou pas, mais librement choisi, demain ou après-demain !
Daniel Guerrier est un ancien co-président de l’Association information et soutien aux droits du peuple kanak (AISDPK) dans les années 80-90