Peut-on se passer des lois pour préserver notre terre ?
La terre est l’outil de travail du paysan. Faute de terres, des projets agricoles ne se concrétisent pas. Lurzaindia a été créée en 2013, prenant la suite du GFA (Groupement foncier agricole Lurra) existant depuis plus de 40 ans pour acquérir de la terre agricole grâce à l’épargne collective afin d’aider des paysans à maintenir leur activité ou à s’installer, en leur louant les terres.
Lurzaindia est propriétaire de presque 500 hectares aujourd’hui. Ces terres nourricières sont aussi sorties à tout jamais du marché spéculatif. La preuve s’il en fallait une que les citoyens qui veulent agir concrètement au plus près de leur territoire peuvent le faire.
Cependant, cela ne nous empêche pas de considérer qu’en matière de préservation de la terre agricole, l’enjeu est tellement important qu’il mérite aussi une implication de l’état français, des collectivités territoriales, bien plus forte qu’elle ne l’est aujourd’hui. En effet, l’artificialisation des sols détruit l’activité agricole, la biodiversité, réduit notre capacité à gagner en souveraineté alimentaire, accélère le dérèglement climatique. Face à un enjeu majeur pour le territoire, une réponse à la hauteur serait nécessaire.
Malheureusement, pour un certain nombre de raisons, les politiques publiques communales ont plutôt conduit à une surconsommation de foncier agricole durant de nombreuses années : au Pays Basque comme ailleurs, on a beaucoup reproduit le modèle de l’étalement urbain, avec lotissements et maisons individuelles. De plus, une large majorité des biens bâtis sont aujourd’hui entre les mains de la propriété privée. On construit donc, et on continue de construire, mais on ne résout pas le problème du logement pour autant, en particulier celui de l’offre en logements sociaux.
La part très importante des résidences secondaires au Pays Basque, celles des logements vacants dans une moindre mesure, et la spéculation, sont en partie responsables de la situation. En somme, on ne règle pas le problème du logement en construisant sur la terre agricole d’une part, et on continue à faire disparaître les meilleurs terres agricoles d’un point de vue agronomique d’autre part.
La loi Climat et résilience votée en 2021 prévoit de réduire de moitié le rythme d’artificialisation nouvelle entre 2021 et 2031 par rapport à la décennie précédente et d’atteindre d’ici à 2050 zéro artificialisation nette (Zan). La loi, parce qu’elle s’impose, peut clairement constituer un rempart à la perte des terres agricoles. Mais elles ne se perdent pas uniquement du fait de leur changement d’affectation dans les PLU et de leur artificialisation. Il arrive qu’un bien agricole soit vendu à un non agriculteur, une personne fortunée qui achète une maison, et par la même occasion, de la surface agricole, pour se créer un “domaine privé avec de la surface d’agrément”. Ces terres, si elles ne sont pas artificialisées, perdent d’une certaine façon leur leur vocation nourricière.
L’état avait crée l’outil Safer, dans les années 1960 pour sauvegarder la terre agricole, leur permettant d’exercer un droit de préemption sur des ventes de terres agricoles spéculatives, ou des ventes risquant de faire perdre leur usage agricole à certaines surfaces. Les Safer jouent ce rôle, d’autant mieux dans des territoires comme le nôtre où Lurzaindia la pousse à agir en se portant régulièrement candidate auprès d’elle pour contrer ce type de vente. Malgré tout, le champ d’action des Safer est limité dans certaines situations. Par exemple, la Safer ne peut agir dans le cas de vente de nue-propriété (sans usufruit), une méthode de plus en plus utilisée pour se soustraire au risque de préemption. De même, lorsqu’une maison avec des terres se vend, la Safer ne peut préempter l’ensemble si la maison a perdu sa vocation agricole depuis plus de cinq ans. Beaucoup d’anciennes fermes sur lesquelles la transmission agricole ne s’est pas faite se retrouvent dans cette situation particulière ces dernières années. C’est pour montrer ces difficultés, qui conduisent à la perte de terres agricoles que Lurzaindia avait engagé l’occupation des terres à Arbonne en 2021 pendant quatre mois.
C’est à cette occasion que des parlementaires s’étaient engagés à nous soutenir et à travailler pour faire évoluer le cadre réglementaire. Le travail a été fait, une proposition de loi a été préparée. Portée par le député Vincent Bru, elle ambitionne même de reconnaître le caractère d’intérêt général de l’agriculture et de combler les brèches qui empêchent une véritable protection des terres agricoles sous l’action des Safer... Elle pourrait aller plus loin, mais nous reconnaissons que plusieurs propositions vont malgré tout dans le bon sens.
La proposition de loi existe donc bel et bien. Elle existe même depuis plusieurs mois, mais malheureusement elle n’avance pas. Doit-on se perdre en conjectures pour comprendre ce qu’il se passe ? Le député manque-t-il de motivations ? Le ministre de l’Agriculture ne s’y intéresse-t-il pas ? Nous pouvons penser pourtant que dans ce cas, avec un peu de motivation, il n’est pas impossible de réunir une majorité parlementaire pour soutenir cette proposition de loi. Le député Echaniz par exemple, avait assuré de son soutien.
En attendant, nous perdons chaque jour un peu de ce patrimoine commun, nous perdons chaque jour de la terre agricole et nous perdons chaque jour des paysans.
Cet article est paru dans www.mediabask.eus