TACTIQUES POUR UNE STRATÉGIE FONCIÈRE (3)

TACTIQUE N°3 : le droit et la loi comme terrain de lune
Faire appliquer la loi nécessite parfois une lutte âpre, surtout quand le droit offre des leviers d'action et possède une dimension émancipatrice. Les luttes qui s'organisent contre des projets destructeurs de terres ont toujours ou presque une stratégie juridique qui vient appuyer la bataille de terrain: il s'agit d'aller chercher les illégalités présentes dans les arrêtés permettant le démarrage des travaux (espèces protégées, code de l'environnement ou code rural). L'association France nature environnement s'est révélée une bonne alliée pour monter une défense juridique solide face à des projets qui détruisent des terres agricoles et des zones naturelles. La meilleure alchimie étant souvent l'alliance avec des personnes connaissant très bien le territoire, capables de faire naître une contestation de terrain et de donner une visibilité publique à la lutte. Certains collectifs favorisent même l'arrivée d'espèces protégées sur leur lieu de lutte, pour aboutir à l'arrêt des travaux: non pas déplacer des espèces, mais les inviter à s'y installer en créant les bennes conditions écologiques. C'est par exemple l'objet d'un chantier de création de mares par les habitant es du quartier libre des Lentillères à Dijon, menacé de bétonisation. Ces dernier les ont également recours à des exercices de «droit fiction », pour montrer qu'un autre droit foncier est possible. Ce travail a abouti à l'écriture de leur propre règlement d'urbanisme: la zone d'écologies communale (ZEe).
À l'échelle nationale, la Coalition foncière animée par Agter, la Confédération paysanne et Terre de liens, qui regroupes acteurs agricoles, citoyens; environnementalistes, s'applique à proposer un foncière complète. L'émergence de telles inventions juridiques ne peut avoir lieu que grâce aux actions et alternatives foncières déjà portées sur les territoires, qui font exemple. En retour, les avancée droit peuvent les faciliter ou les renforcer: le droit de préemption des Safer a été obtenu en 1962 suite d'un mouvement syndical d'ampleur, notamment contre l'acquisition massive de terres: l'acteur Jean Gabin. Ce droit est utilisé très régulièrement pour mettre des installations paysannes et lutter contre la spéculation foncière, dont les Safer sont officiellement en charge. Cependant, elles peinent à mener seules cette mission à bien: le prix des terres moyenne doublé en vingt ans. Contre cette dynamique, des initiatives comme la foncière basque Lurzaindia demandent systématiquement à la Safer d'intervenir pour faire baisser le prix des terres qui se vendent au-dessus du prix habituel local. Dans la même idée, le projet Terre Fert'île. avec l'appui de la commune de l'île d'Yeu et de la Safer Pays de la Loire, a permis depuis 2015 de faire baisser de 25 % le prix moyen de l'hectare de terre sur l'île.
Ce travail juridique est aussi mené à l'échelle européenne pour subvertir la politique agricole commune (PAC). Son fonctionnement est archaïque: plus on a d'hectares, plus on touche d'argent. Ce système pousse donc les exploitations à s'agrandir sans augmenter leur nombre de travailleur-ses, empêchant les jeunes de s'installer sur de nouveaux projets. Le collectif Nourrir s'attaque à ce problème pour rendre palpable la possibilité d'une tout autre répartition des aides. L'idée est de réunir un nombre assez important d'acteurs aux légitimités diverses (agricole, environnementale, consommation responsable, solidarité internationale, bien-être animal) pour faire contrepoids aux lobbys privés et à leur influence sur les élus. Seule une part marginale des aides de la PAC finance aujourd'hui des pratiques agricoles bénéfiques, la majorité de l'argent étant injectée dans des fermes industrielles.