Des élu.es et du mouvement social

Dans les dernières décennies, le mouvement abertzale au Pays Basque Nord et plus précisément le mouvement abertzale de gauche, porteur d’un projet de société alternatif émancipateur, a connu un développement important.
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De ce fait, même si la présentation aux élections a très tôt fait partie des stratégies de luttes de certains secteurs du mouvement ( Christiane Etxallus en 1967), la possibilité d’avoir des élu.es, y compris dans des majorités, a peu à peu émergé et est devenue réalité dans de nombreuses municipalités puis à l’agglo.
Jusqu’à très récemment, la participation à des instances de gestion restait cependant ponctuelle (à Biarritz par ex.) en dehors des petites communes et était souvent controversée y compris dans le propre mouvement politique desdits élu.es. Elle tend par contre à se généraliser ou du moins à se normaliser.
Se pose donc – ou devrait se poser – la question de l’objectif de cette participation aux élections et a fortiori aux institutions, et du lien avec le reste du mouvement et avec les luttes qui, au fil du temps, ont permis d’en arriver là, d’être perçu pour le mouvement abertzale (de gauche) comme une alternative porteuse d’un projet désirable dans lequel de plus en plus d’habitant.es de ce pays se reconnaissent, qu’ils/elles y soient né,es ou l’aient adopté.
En effet, même si d’aucun.es considèrent qu’ils/elles ne doivent leur mandat qu’à leur candidature personnelle et donc à leurs électeurs-trices, ces succès sont pour la plupart le fruit de décennies de luttes, parfois très dures, de mise en place de contre-pouvoirs, de combats contre les discriminations, linguistiques et autres, mais aussi pour le développement du territoire dans le respect de l’environnement et de ses habitant.es, l’agriculture paysanne, les ikastolas, les gaztetxe... Le fruit aussi de tous les outils grâce auxquels la rebasquisation progresse, de toutes les initiatives grâce auxquels les jeunes restent ou reviennent, les migrant-es sont hébergé.es, que ce pays vit.
Les nouveaux élu.es viennent à un moment donné en quelque sorte incarner ces combats et ce qu’ils dessinent comme projet de société. Il est donc fondamental de conserver le lien avec ces luttes et les militant.es qui les portent.
A l’inverse, si ce lien se distend, les risques sont grands pour les élu.es d’être absorbé.es par l’institution et par la gestion et ce qu’elle impose de compromis, de recherche de consensus alors qu’il s’agit de porter un projet qui demande une affirmation forte, ce qui suppose - eh! Oui ! - du conflit. Sinon, c’est l’éloignement assuré du projet initial, la perte de crédibilité du mouvement qui a porté.es ces élu.es et à terme son déclin.
A titre d’exemple, regardons l’évolution du PCF pleine d’enseignements à cet égard. Le PCF est passé de près de 30% des électeur-trices au lendemain de la guerre à quelques pourcents dans les dernières élections avec une perte considérable d’influence, y compris dans les communes où le PC dominait depuis des décennies (voir par exemple les résultats des élections municipales 2020 à Champigny-sur-Marne, où la liste de droite a remporté, et St Denis, avec l’échec du candidat communiste au profit de celui du PS).
Ces réflexions s’inspirent d’un article du Monde Diplomatique de janvier 2015 “Comment un appareil s’éloigne de sa base” de Julian Michi.
Le déclin du PCF est bien sûr en partie dû à des facteurs externes (chute du nombre des ouvriers par ex. qui constituaient non seulement sa base électorale mais aussi son vivier militant, de cadres ).
On peut cependant constater que ce déclin est parallèle à l’évolution interne du parti, du discours et des pratiques et va de pair avec l’influence croissante des élu.es.
D’un côté, le discours de classe laisse la place à des concepts plus consensuels et qu’on retrouve très largement dans la plupart des programmes politiques, quasiment toutes tendances confondues : “participation citoyenne”, “lien social”... il y a en quelque sorte une dépolitisation du discours qui devient “humaniste” et rassembleur.
De l’autre priorité donnée à l’activité électorale. Les militant.es sont poussé.es à se présenter, les élu.es deviennent une source de financement et en avoir devient un but en soi en même temps que la peur de perdre des mandats conditionne le discours et peut également entraîner l’affaiblissement des luttes.
Parallèlement, au fil du temps, une coupure se produit entre les élu.es et les militant.es dont le rôle s’amoindrit en même temps que ceux d’expert.es en communication ou en gestion s’accroît.
Bien entendu, il ne s’agit pas de comparer des situations et encore moins des mouvements/partis politiques avec une histoire aussi différentes que le Parti communiste français et les structures politiques dont s’est dotée la gauche abertzale. Toutefois des parallèles peuvent être faits et des enseignements tirés.
Au-delà du cas précis du PCF, on constate une perte de crédibilité des partis politiques qui sont devenus de pures machines électorales et dont les débats tournent essentiellement autour de prétendues stratégies électorales, de qui sera candidat.e à telle élection, etc. et pas sur le fond, les projets de société, c’est-à-dire ce qui détermine la vie des gens. D’où, entre autres, un taux d’abstention de plus en plus important, notamment des jeunes. Quant à eux/elles, les élu.es se comportent et sont perçu.es comme une “caste”, un groupe spécifique détaché de la base des mouvements et surtout de l’ensemble de la population, avec des intérêts propres qui ont peu à voir avec ceux des personnes qu’ils/elles sont censés représenter.
Il est donc indispensable de repositionner la stratégie électorale - en complémentarité et en totale synergie avec le mouvement social - et le rôle des élu.es.
Ce sont bien les luttes que nous menons, les alternatives que nous construisons qui doivent rester moteur. Les élu.es doivent donc s’appuyer sur celles-ci et rester en lien permanent avec le mouvement dont ils/elles sont issu.es. Faute de quoi, ils/elles sont condamné.es à être absorbé.es par l’institution. Dans ce sens également, le rôle des militant.es, immergé.es dans la société et en lien avec les préoccupations de tout un.e chacun.e, est et doit rester fondamental.