Pourquoi s’opposer aux Méga-Usines à Bois?

Parallèlement aux ravages de l'agro-industrie, la sylviculture industrielle s'étend mettant en péril nombres de forêts. Les méga-scieries notamment, sont un des symptômes de ce modèle mortifère comme le projet aujourd'hui abandonné de Lanmezan qui menaçait toutes les forêts pyrénéennes. Mais d'autres projets sont en cours ailleurs. Autre manifestation néfaste de cette filière le projet démentiel E-CHO (lire L’E-CHO ordinaire de la transition énergétique). Décryptage avant une mobilisation prévue à Guéret les 5 octobre 2024.
Où en sont nos forêts ?
Le modèle de sylviculture hégémonique aujourd’hui en France depuis des dizaines d’années pourrait être résumé ainsi : la futaie régulière monospécifique. Futaie régulière car les arbres sont plantés et coupés tous au même moment lors de coupe totale appelé des coupes rases, et monospécifique car dans une plantation l’on trouve rarement plus d’une essence différente. En somme ces forêts ressemblent à des champs de maïs récoltés tous les 30 ou 40 ans. Cette sylviculture n’a qu’un seul intérêt, l’industrie. Elle est capable de mobiliser rapidement de grandes quantités de bois au diamètre standardisé compatible avec des besoins industriels. Elle nécessite l’usage de machines toujours plus grande pour réaliser de gigantesques coupes et économiser la main d’œuvre.
Pour ce qui est de l’écosystème forestier, c’est un vrai désastre : la biodiversité, le cycle de l’eau et les sols sont malmenés par de telles pratiques. Cela fait des années que ce mode de sylviculture est extrêmement critiqué pour sa dangerosité court-termiste mais aujourd’hui, face au dérèglement climatique, il est tout à fait irresponsable de continuer dans cette direction [1].
La forêt, entre l’industrie et le dérèglement climatique, se trouve aujourd’hui à un tournant. Elle fait face à de nombreuses menaces directement liées au dérèglement climatique : méga feux, parasites, sécheresses et canicules, événements climatiques violents, etc. … Les futaies régulières monospécifiques sont particulièrement vulnérables face à ces menaces [2].
Mais face à ces enjeux, la filière bois fait le choix du déni et intensifie sa production, provoquant une pression inédite sur la ressource. Partout les forêts font face aux appétits insatiables de l’industrie : déforestation, industrialisation par la sylviculture intensive, accaparement et spoliation. À l’image de ce qu’a connu l’agriculture, le moindre hectare de forêt a vocation à devenir un gisement de bois.
Pour des forêts vivantes
Cependant un autre rapport à la forêt est possible, pour des forêts qui ne soit ni des forêts de rendement ni des forêts sanctifiées. C’est cette alternative que nous appelons la forêt vivante :
Une forêt de bien commun qui permette à toustes de profiter, du bois, des services de la biodiversité et des autres ressources dont elle dispose.
Une forêt gérée selon des principes de sylviculture qui assurent une exploitation durable et une vie digne aux travailleureuses aujourd’hui exploité.es. Ces techniques comme la sylviculture mélangée à couvert continu, doivent penser la forêt dans une perspective de long terme et permettre aux habitant.es comme aux travailleureuses de s’y ancrer et de s’y projeter sans craindre les décisions arbitraires de propriétaires ou d’industriels[3].
Pour montrer qu’une autre filière est possible
Pour qu’une forêt vivante advienne, il faut repenser la filière bois. Faire exister une économie qui rende possible et cohérente l’exploitation d’une forêt vivante. A l’image de ce que représente l’agriculture paysanne comme alternative au modèle agro-industriel, il faut penser une filière bois faite de nombreuses petites unités de transformations qui aillent de la scierie jusqu’à la charpente. Une filière équipée d’outils industriels capables de s’adapter à une forêt vivante dont la diversité biologique est aussi riche que la diversité du savoir-faire des artisan.nes. Ces alternatives existent aujourd’hui en France et ailleurs dans le monde, elles ne demandent qu’à être investies pour grandir et se pérenniser, toutes les subventions qui vont aujourd’hui à l’industrie doit être re-fléchées vers ces alternatives.
Mais la réalité présente est tout autre. Le complexe sylvo-industriel s’intensifie et se concentre, partout des projets de méga-usines voient le jour. Dans cette campagne contre les usines à bois, nous avons fait le choix de nous concentrer sur deux secteurs industriels, le bois énergie et le sciage. Les projets de Biosyl, FargesBois et SIAT sont symptomatiques de choix industriels catastrophiques. Avant de se plonger plus avant dans les modalités de ces projets industriels, prenons un peu de recul pour les situer dans le contexte plus large de la filière bois.
Le Bois énergie, une impasse climatique à long terme mais un marché lucratif dans les années à venir
État des lieux du bois énergie :
La catégorie du « bois énergie » regroupe tous les usages de bois destinés à produire de l’énergie. A l’heure actuelle on parle essentiellement de combustible. Sur les 30 Mm3 de bois énergie brûlé chaque année, on compte : 8Mm³ pour l’industrie, les collectivités ou le tertiaire afin de produire de l’électricité ou d’alimenter des réseaux de chaleurs et 22M m³ sont consommés par des particuliers pour se chauffer dont environ 15Mm3 de bois bûches et 7Mm3 de pellets. Si d’autres usages du bois énergie pourraient se développer à l’avenir comme avec la production de gaz et de carburant, pour le moment ce sont les granulés bois qui semblent s’imposer comme le produit hégémonique de cette catégorie, rattrapant petit à petit le bon vieux bois bûche [4].

De plus, l’usage de bois pour l’industrie ne date pas d’hier. Au 17ème siècle la forêt française a perdu près de 15% de surface à cause du défrichement. Le bois était alors essentiel au développement industriel et alimentait les fours des tanneries, des verreries, des forges etc. C’est la découverte des énergies fossiles, alors présentées comme une solution « écologique », qui a ralenti cette surexploitation des forêts [6].
Ce que nous voulons dire ici, c’est que la question de l’énergie, peu importe son origine, est d’ordre politique et pas uniquement technique. Le bois n’est pas une solution miracle pas plus que les autres énergies renouvelables. Celles et ceux qui défendent ces projets espèrent simplement trouver un nouveau pétrole qui permettrait de poursuivre une croissance du marché de l’énergie basé jusqu’ici majoritairement sur les hydrocarbures.
Des besoins artificiels et sur-subventionnés
Ces dernières années, les subventions sur le bois énergie ont considérablement augmenté (611 millions d’euros en 2018) et dépassé celles du bois d’œuvre (100 millions d’euros en 2018). L’installation de poêle à granulés a aussi été largement subventionnée, 170 millions d’euros en 2018 contre 450 millions en 2022. Le poêle à granulés tend à devenir la norme du chauffage bois des particuliers. Par rapport aux normes de construction, il est déjà bien plus avantageux de faire installer un poêle ou une chaudière à granulés que d’installer un système de chauffage au bois bûches. L’augmentation de la demande dont nous parlent sans cesse les industriels est donc artificielle. Elle est produite par les subventions et les normes de construction qui standardisent le chauffage aux granulés [7].
Jeter de la chaleur et de l’argent par la fenêtre
Pour produire du granulé, il faut dépenser une quantité d’énergie phénoménale, que ce soit pour faire sécher le bois, le broyer, le compacter ou le conditionner. Autrement dit, avant de pouvoir se chauffer avec des granulés, le processus industriel est long et coûteux.
Rappelons que la problématique de surconsommation d’énergie liée au chauffage devrait être prise en charge par la rénovation thermique et non par la production de combustible. Ces dernière années, l’augmentation du prix de l’énergie a eu des effets dramatiques. De plus en plus de foyers ont du mal à se chauffer et doivent faire l’impasse sur ces dépenses pour finir le mois. Face à cette situation catastrophique, le gouvernement n’a rien de mieux à faire que d’investir dans la filière des granulés, dont les prix ont explosé depuis la guerre en Ukraine. Preuve que les industriels se fichent bien de répondre aux « besoins » des consommateurs mais tentent simplement de se faire une place dans ce nouveau marché très lucratif.
Faire rentrer le bois de chauffage dans les échanges internationaux
Pour l’économie mondiale, le granulé a un avantage ergonomique indéniable sur le bois bûches, il est facile à exporter. En 2020, 53 M de tonnes de granulés on était produits dans le monde et 29 M ont été exportés [8]. Cette économie reste un privilège occidental, la plupart des échanges se font entre les USA, le Canada et le Royaume Uni ou de l’Europe de l’est vers l’Europe de l’ouest. Les avantages du granulé reviennent essentiellement aux industriels qui font leur marge sur cette nouvelle transformation. Ces industriels aimeraient voir le granulé devenir le monopole du combustible de bois car il est tout à fait compatible avec une économie basée sur la concentration industrielle.
Le bois de sciage, un monopole industriel
État des lieux du bois de sciage
Chaque année en France, environs 1,6 % des scieries produisent près de 32 % du bois de sciage[9]. Ces vingt et un sites industriels produisent par jour l’équivalent de la production annuelle d’une scierie artisanale, ce sont des méga-scieries. Entrent dans cette catégorie les sites industriels produisant 100 000 m³ de bois scié par an ou plus.
À l’intérieur même de ce monopole industriel, dix de ces vingt et une usines appartiennent aux trois plus grands groupes de sciage français : Monnet-Sève, Siat et PiveteauBois (le propriétaire de FargesBois). À elles seules, ces dix usines représentent près de 12,5% de la production annuelle de bois scié.
Autre critère pour entrer dans la catégorie de méga-scierie, l’intégration verticale. En plus du sciage, ces groupes tentent d’intégrer à leurs activités d’autres points stratégiques de la filière, en amont comme en aval. Par exemple le groupe PiveteauBois est l’un des plus gros producteurs de granulés en Europe et possède une coopérative forestière.
Ce monopole est inquiétant car il tend à concentrer tous les moyens de production de la filière entre quelques mains et contraindre la forêt à leur mode de production basé sur un flux continu de bois standardisé.
La disparition des petites scieries, une crise écologique et sociale :
En 1960, on comptait 15 000 scieries qui maillaient le territoire Français, en 2020 il n’en restait plus que 1 250 [10]. Comment expliquer cette disparition massive ? Pour faire simple tout au long du XXème siècle l’État structure l’émergence et les transformations de la filière bois suite aux crises créées par les transformations du BTP et les évènements météorologiques extrêmes.

De son côté l’État joue un rôle d’arbitre en attribuant des subventions aux plus grandes scieries. Depuis les primes d’orientation agricole de 1962 [11] aux subventions de l’ADEME des dernières années [12], l’État privilégie les plus gros acteurs industriels. Conséquence, les petites unités de sciages disparaissent et avec elles l’espoir d’une autre filière bois. Aujourd’hui ce sont presque 100 scieries qui mettent la clé sous la porte chaque année. A long terme ce monopole est synonyme de destruction d’emplois. Entre 1967 et 2005 le nombre de salarié en scieries est passé de 45 000 à 2 106. Aujourd’hui la tendance à la concentration industrielle se poursuit de manière exacerbée, de gigantesques sites industriels continuent leur ascension. « Une scierie par massif forestier » disait il y a bientôt 10 ans Pascal Jacob, l’ancien directeur du projet Erscia en décrivant son idéal de « diagonale des scieries ». Ce projet de politique industrielle se réalise aujourd’hui.
Rejoignez-nous les 4 et 5 octobre 2024 à Guéret contre les méga-usines à bois et pour des forêts vivantes !
[1] À titre d’exemple l’ouvrage Les arbres qui cachent la forêt. La gestion forestière à l’épreuve de l’écologie de Didier Carbiener paru en 1995 chez EDISUD formulait déjà une critique exhaustive de ce modèle sylvicole.
[2] Banos V., Deuffic P. Après la catastrophe, bifurquer ou persévérer ? Les forestiers à l’épreuve des événements climatiques extrêmes. Nat. Sci. Soc. 28, 3-4, 226-238.
[3] Les éléments présentés ici sont directement inspirés de la charte de l’association « Forêt en vie » https://www.foretsenvie.org/
[4] Rapport bois-énergie : l’équation impossible. Canopée Forêts vivantes.
[5] Ibid.
[6] Pour une gestion écologique des forêts. Récolter du bois dans une forêts vivante Gaëtan du Bus de Warnaffe. Terre vivante 2023. p28-2
[7] France stratégie n°124 Vers une planification de la filière forêt-bois. Juillet 2023
[8] Bouts de bois, des objets aux forêts. Agnès Stienne. Zones. p. 132-133
[9] Chiffres : collectif Méga Scierie Non Merci à partir des chiffres communiqués par les entreprises elles-mêmes et le travail de Maurice Chalayer Les évolution de la scierie française. L’Harmattan 2019.
[10] Évolution du nombre de scieries et du volumes de bois scié entre 1960 et 2021. Agreste et observatoire du métier de la scierie.
[11] Cette loi d’orientation agricole distribuait des subventions aux scieries qui sciaient plus de 3 000 m³ par an. À cette époque, cela ne représente que 15 % des unité de sciage. Les aides et leurs orientations. Jean le Ray. Revue forestière française vol 24 1972.
[12] En 2020 la scierie FargesBois a reçu une subvention de l’ADEME de 59 M d’euros au nom de la transition écologique. FargesBois ou le débat confisqué. À Égletons, bientôt la plus grande scierie de France ? Télé Millevaches. Mai 2024.