Sommes-nous pacifistes ?
D’une manière générale, pour les mouvements révolutionnaires, la violence populaire organisée a été considérée comme indispensable et efficace afin d’atteindre des objectifs et de garantir des droits. Les guérillas, les actions armées et sabotages, les affrontements de rue étaient des piliers principaux des stratégies, démonstrations de cohérence et pratiques d’émancipation.
Dans beaucoup de cas, tout était réalisé au nom de la liberté et de la patrie ; les violences les plus dures étaient légitimées et le pacifisme était le domaine des candides, des tièdes. En Pays Basque, nous avons aussi connu cela, pris dans la noria de ces choix, entre sommets et perditions. Or, durant cette dernière décennie, c’est l’éloge d’autres modes d’action qui est devenue la tendance principale. Pour obtenir plus de reconnaissance démocratique ou bien entraver le réchauffement de la planète, des secteurs ont adopté le credo de la non-violence, en insistant, une fois de plus, sur la logique exclusive du «tout ou rien».
Parmi ceux qui opèrent ce demi-tour, il y a ceux qui nous assuraient jusqu’à il y a peu que les attentats allaient indéniablement nous mener à une victoire. A l’époque où la lutte armée était prônée pour favoriser « l’accumulation des forces », ceux qui doutaient des actions d’ETA étaient mal vus. Paix et normalisation, voila les causes à défendre maintenant, avec un rêve de prise de pouvoirs par des leviers légaux. Pour changer la situation, c’est devenu naturel de cheminer avec la classe politique et institutionnelle et les demandes « maximalistes » sont écartées. A cette feuille de route, on y ajoute une pincée de désobéissance civile, affirmant avec prudence que les choses vont bon train. Prière donc de ne pas casser de vaisselle. Avant, aller en prison pour des faits violents était une marque d’honneur, un catalyseur pour engager d’autres personnes au combat ; aujourd’hui, plus aucun jeune ne devrait franchir la porte d’une cellule. Les mobilisations contre le sommet du G7 en sont un exemple.
Assurément, la lutte pacifiste et le terrain institutionnel permettent des avancées et impliquent de nombreuses personnes. Tant mieux. Sans aucun doute aussi, pour assurer sa survie et son développement, chaque dynamique peut tordre les raisonnements à son avantage, en faisant passer des intérêts particuliers pour généraux. J’ignore quels sont les leviers les plus adéquats pour faire avancer nos objectifs. Je ne veux pas vendre de rêve. Qu’est-ce que gagner ou perdre, avec quels instruments neutres mesure t-on cela ?
Le hic ne se trouve pas, à mon sens, dans la définition même des stratégies, mais plutôt dans les façons de les matérialiser. Chez nous, par tradition et au sein de plusieurs organisations, la voie à suivre décidée par la direction est fondamentale et on ne sort pas du cadre, croyant que les objectifs seront uniquement obtenus en empruntant le chenal établi. Se dévier, c’est faire tort. Peu importe si l’on change régulièrement d’orientation ou de but : les tentatives d’hégémonie prennent le dessus et le procédé se répète. Dans quelques années, lorsque le cycle en cours sera considéré en phase d’achèvement et que l’on décrétera que le chapitre d’un conflit et ses conséquences seront dignement clos, quelle autre recette infaillible devra-t-on suivre ? L’articulation du terrain institutionnel et des luttes de masse, une gouvernance réformiste, la reprise du maquis, autre chose ? Entre temps, combien de gens désorientés, dépossédés, orphelins, en attente de consignes pour devenir activistes plutôt que pacifiés ?
Par loyauté ou par abandon, nous avons quasiment tout accepté et ce n’est pas la peine de jeter la pierre à nos anciens compagnons de route à qui nous devons beaucoup et au vu de la répression qu’ils ont subie et continuent de subir. Il reste à espérer que la séquence qu’ils ont ouverte les mènera le plus loin possible, et que peut-être, un jour, nous nous rassemblerons de nouveau, dans une atmosphère de complémentarité. Les ponts ne sont pas totalement coupés et des initiatives publiques renaissent, rassembleuses et à vocations désobéissantes.
Entre temps aussi, nous avons d’autres choses à faire. Aux quatre coins du monde, du Chili au Liban et de Barcelone à Seattle, la population sort dans la rue et bouscule les règles. Il y a un regain d’actions directes et collatérales, de la diversité des tactiques et de la transversalité, de la méfiance envers les institutions et de l’horizontalité avec parfois, des renversements de situations. De nombreux jeunes s’investissent dans ces mouvements, dans une considération mutuelle. Il ne se passe pas un mois sans que surgissent de nouveaux soulèvements. C’est la gestation d’une société libre qui est portée, une envie de se défendre pour vivre en paix, des couleurs arc-en-ciel. C’est notre terrain.
Au Pays Basque, nous n’avons, ces derniers temps, pas connu cela. Cependant, cette phase est aussi en train de changer, au vu des énergies qui apparaissent dans autant de lieux que de collectifs d’Euskal Herria. Des analyses classiques remodelées refont petit à petit surface et on sent de nouveau des confrontations et des idéologies révolutionnaires dans l’air militant. Là aussi, l’automatisme de soutien à des voies et dogmes uniques ne favorisera pas de relations apaisées entre les différentes tendances. Dans cette recomposition, nous qui voulons prendre soin des complicités et du respect avons un défi aussi beau que compliqué. Nous qui sommes en faveur des autonomies et des rébellions ne devons pas, dans notre humilité, rester sur le bord du chemin. Pour avancer, il y a des méthodologies de participation, déjà utilisées par le féminisme et les mouvements sociaux, les rencontres d’Iraultza Txikien Akanpada, à la ZAD ou dans d’autres nombreuses expériences. Elles nous apprennent à construire, débattre, vivre. Sans oublier les question lointaines : que voulons-nous, un Etat ou un autre type d’organisation de la société ? Une gouvernance un peu plus respectueuse de l’environnement ou la fin du capitalisme ?
Pour finir, et notamment par rapport aux militances qui se bougent autour de la question du climat (et en écho à la victoire écologiste contre le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes), voici les mots d’Andreas Malm, activiste suédois :
« Je n’ai rien contre les formes d’actions politiques non violentes, j’y ai souvent pris part. Or, c’est une erreur de penser que les méthodes non violentes doivent être les seules à être appliquées. Par exemple, selon des groupes comme ‘Extinction Rebellion’, tout mouvement social perdra l’appui de la population s’il commence à utiliser des méthodes violentes, aussi minimes soient-elles. Le mouvement ‘Black Lives Matter’ contrecarre cette théorie. Ce mouvement a pris son envol lorsque des personnes ont attaqué et incendié le commissariat de Minneapolis. Par leur action, elles ont montré que la police n’est pas au-dessus des lois et beaucoup d’autres personnes se sont jointes à elles, certaines décidant de détruire des biens, en renversant des statues d’esclavagistes ou en s’affrontant à la police, et la majorité en manifestant dans le calme. Je ne veux pousser personne à la violence, mais je crois que la destruction des biens a joué un rôle important dans l’obtention d’objectifs au sein de beaucoup de mouvements sociaux. Il y a beaucoup de militants frustrés qui pensent que pour lutter efficacement contre la crise climatique, les méthodes actuelles ne sont pas appropriées et qu’il faut passer à la vitesse supérieure. Et le mouvement climat ne devrait pas les écarter. Au contraire, il devrait les encourager ».