Souveraineté alimentaire : un concept anticapitaliste récupéré par le gouvernement
Si la notion de "souveraineté alimentaire" fait en apparence consensus, sa signification politique est disputée. Ainsi, le gouvernement veut s’appuyer sur cet objectif pour encourager encore davantage l’agriculture intensive et exportatrice, notamment en rognant les protections environnementales. Une vision à l’opposé du concept initial, élaboré par des mouvements paysans opposés à la mondialisation, pour qui la sécurité alimentaire d’une nation passe au contraire par la sortie de l’agriculture du cadre marchand. Article parue dans LVSL.
La question de la souveraineté agricole est historiquement au cœur des crises du secteur. Pourtant, le concept en tant que tel n’est apparu qu’au XXème siècle. Intrinsèquement liée à la notion de sécurité alimentaire, elle porte à la fois sur la couverture des besoins d’une population, la préservation des ressources nationales et le droit des peuples à définir leurs propres systèmes alimentaires et agricoles. Historiquement, c’est surtout le premier enjeu qui a primé, étant donné que les famines et les émeutes de la faim étaient fréquentes. Si cette perspective est désormais écartée dans un pays comme la France grâce à l’essor des rendements – bien que 16 % des Français déclarent ne pas manger à leur faim – elle reste fondamentale dans de nombreux pays incapables de nourrir seuls leur population galopante comme l’Egypte.
Une notion issue du mouvement altermondialiste
Cet sont d’ailleurs des pays en développement qui inscrivent cette notion de sécurité alimentaire dans les instances onusiennes durant les années 1970, à travers la création du comité des Nations Unies pour la sécurité alimentaire. Mais l’influence du courant tiers-mondiste, qui plaide alors pour réduire les inégalités Nord-Sud et une véritable décolonisation économique, ne dure guère. Avec la fin de la guerre froide et la mondialisation, les échanges commerciaux se libéralisent, notamment sous l’influence de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC).
C’est en réaction aux effets dévastateurs de l’ouverture des marchés agricoles à la concurrence étrangère que naît en 1993 la Via Campesina, un mouvement international de petits paysans et de travailleurs agricoles qui souhaitent reprendre le contrôle sur leur activité et leur production. C’est ce mouvement qui élabore alors l’idée de souveraineté alimentaire, définie comme « le droit des peuples à une alimentation saine et culturellement appropriée produite avec des méthodes durables, et le droit des peuples de définir leurs propres systèmes agricoles et alimentaires. »
Dans les pays du Nord, cette période coïncide avec les luttes contre les semences transgéniques et les craintes d’une privatisation du vivant par des grandes firmes comme Monsanto. Si cette problématique se retrouve aussi dans les pays du Sud, les combats y sont encore plus vastes, notamment du fait de la très inégale répartition des terres et de la ruine qu’occasionnent les accords de libre-échange pour les producteurs locaux, soumis à la concurrence déloyale de productions subventionnées d’Europe et d’Amérique du Nord. Avec la spéculation boursière croissante sur les produits agricoles, la sécurité alimentaire est d’ailleurs redevenue un enjeu majeur pour de nombreux Etats, notamment les pays du Moyen-Orient et du Maghreb, où les émeutes de la faim qui débutent à partir de 2007 débouchent sur les printemps arabes. Dans le cas de l’Europe, la prise de conscience des risques causés par la mondialisation est plus récente, notamment à l’occasion des pénuries intervenues ces dernières années avec le Covid et la guerre en Ukraine, dont l’effet a été décuplé par la spéculation.
La France, terreau fertile de la contestation agricole
La France représente d’ailleurs un terreau particulièrement favorable au concept de souveraineté alimentaire, du fait de son histoire. Tout d’abord, à la différence du Royaume-Uni qui voit dès le XVIIIe siècle le développement de grands domaines, notre pays connaît une propriété beaucoup plus morcelée. Cet écart se trouve accentué au moment de la Révolution française à travers la distribution des terres des grands domaines (émigrés, biens religieux) et les dispositions du Code Civil prévoyant l’égalité entre les héritiers, bien que de nombreuses exceptions existaient. Or, si la division des terres entre un grand nombre d’agriculteurs est positive, beaucoup ont du mal à vivre de leurs petites productions. En témoignent ainsi les révoltes des métayers (agriculteurs non propriétaires de leurs terres qui reversent une part des récoltes aux propriétaires des sols, ndlr) au début du XXème siècle.
Dès cette époque, la question de la concurrence étrangère devient aussi un carburant de la révolte paysanne. C’est par exemple le cas de la révolte des vignerons du Languedoc en 1907 contre les importations de vin étranger. Cette même profession se soulève à nouveau pour les mêmes raisons en 1976, ce qui donne lieu à un affrontement sanglant à Montredon (Aude) entre viticulteurs armés de fusils de chasse et CRS. On déplore alors deux morts et une trentaine de blessés. Cette période des Trente Glorieuses est également marquée par la forte baisse du nombre d’agriculteurs et la forte augmentation des superficies des exploitations grâce à la mécanisation.
En réaction à cette concentration croissante des terres à travers le « remembrement » des parcelles, une première scission apparaît en 1959 au sein de la FNSEA, qui donne naissance au Mouvement de défense des exploitants familiaux (MODEF, syndicat agricole proche du Parti Communiste Français, ndlr). Petit à petit, la domination de la FNSEA s’érode. Le syndicat majoritaire, très proche des gouvernements successifs et dominé par les intérêts des grands exploitants tournés vers l’international, ne sert en effet pas les intérêts des petits agriculteurs. La Confédération Paysanne voit ainsi le jour en 1987 pour défendre une agriculture à taille humaine et tournée vers des méthodes alternatives, plus respectueuses de l’environnement et du vivant. Quatre ans plus tard, une nouvelle scission au sein de la FNSEA concernant une réforme de la Politique Agricole Commune (PAC) donne naissance à la Coordination Rurale, qui est vigoureusement opposée au libre-échange.
La maximisation de la production au mépris de l’environnement, la violence de la concurrence étrangère et la guerre des prix plongent de plus en plus d’agriculteurs dans le surendettement et une perte de sens de leur métier.
Depuis les années 1990 au moins, les failles du modèle agricole dominant sont donc de plus en plus visibles. La maximisation de la production au mépris de l’environnement, la violence de la concurrence étrangère et la guerre des prix plongent de plus en plus d’agriculteurs dans le surendettement et une perte de sens de leur métier. En outre, le modèle d’exportation s’essouffle : la France perd peu à peu des parts de marché et est sortie du top 5 mondial des exportateurs agricoles. Un récent rapport du Sénat sur la « compétitivité de la ferme France » pointe également les limites du modèle productiviste. D’après celui-ci, la production stagne depuis 1997 à la fois du fait du plafonnement des rendements et de la baisse du nombre d’agriculteurs et de surfaces exploitées. Autant d’ingrédients qui ne pouvaient conduire qu’à un embrasement majeur du secteur.
Une récupération politique chargée d’ambiguïté
Depuis la profonde crise de janvier 2024, la notion de souveraineté alimentaire est ainsi revenue en force dans le débat public et est devenue un enjeu politique majeur. Le pouvoir a choisi de se focaliser, au travers d’un discours belliciste, sur une menace imminente. Ceci permet habilement d’occulter les difficultés structurelles du secteur, en premier lieu d’ordre économique. Ainsi, les libéraux sont parvenus à fusionner les notions de souveraineté et de compétitivité au cœur de leur discours. Selon eux, la reconquête de la souveraineté passe dès lors par une industrialisation massive, l’objectif étant de pouvoir concurrencer les autres grandes puissances sur un marché agricole mondial.
Ce discours occulte néanmoins que le jeu du marché suppose d’ouvrir en parallèle les marchés. Selon le principe de Ricardo, on contribue ainsi à l’émergence d’un modèle agricole de moins en moins polyvalent. C’est ainsi que la colère des agriculteurs sur leur niveau de vie et leur revenu s’est transformé en plan d’action sur l’abaissement des normes environnementales. Il s’agit moins de protéger des petites et moyennes exploitations que d’aider les plus importantes à exporter d’avantage.
À l’autre bout du spectre, l’extrême droite s’est retrouvé aux prises avec un impensé idéologique. Ceci a donné lieu à un couac entre les deux principaux dirigeants du RN concernant les prix planchers. Le parti a maladroitement tenté de rapprocher la notion de souveraineté de ses dogmes, la fermeture des frontières ou la préférence nationale. Ceci se heurte néanmoins à une réalité hétérogène qui se plie mal aux concepts simplistes. Cette position, sans se révéler explicitement souverainiste, s’appuie uniquement sur la production agricole sans penser l’alimentation dans son ensemble.
Le « localisme » du RN témoigne ainsi d’une méconnaissance complète des circuits alimentaires, qui occulte la dépendance de fait de notre agriculture. En effet, elle exclut le fait que la France importe des produits bruts pour exporter en majorité des produits transformés, du fait d’une industrie agro-alimentaire particulièrement bien développée. La France n’est ainsi plus qu’une terre où se passe une part seulement de la production de valeur ajoutée agricole, au sein d’un vaste système mondialisé. La guerre en Ukraine ainsi démontré notre grande dépendance aux intrants. De même, il n’est pas rare qu’un broutard, jeune bête, né en France soit ensuite engraissé en Italie, pour être abattu en Allemagne puis transformé en France. Sans cette analyse fine et une politique stratégique et active pour reconstituer ces filières en France, ces discours se limitent à de simples proclamations sans effet.
La France importe des produits bruts pour exporter en majorité des produits transformés, du fait d’une industrie agro-alimentaire particulièrement bien développée.
Enfin, l’ensemble de ces discours présentent un même défaut. Celui de considérer le secteur agricole comme uniforme, ou même homogène. Cette crise agricole a révélé des profondes divergences dans le monde syndical, se traduisant par la signature inédite d’une déclaration de trois organisations sur les prix planchers. Rappelons aussi qu’il existe de grandes inégalités entre les exploitations, notamment dûes à l’absence de plafonnement des aides PAC à la surface. Résultat : les plus agriculteurs captent la grande majorité des subventions européennes et ne laissent que des miettes aux plus petits.
Les inégalités au sein du secteur agricole français sont également régionales : le taux de pauvreté dans les ménages agricoles varie ainsi de 10 % dans le Grand Est à 30 % et 40 % en Occitanie ou en Corse. De même le taux de pauvreté va du simple aux doubles entre les secteurs moins frappés, comme la grande culture et la viticulture (13%) et les élevages (ovins et bovins, 25%). Les différentes filières ne sont pas toutes également concernées par les éventuelles barrière aux libre échange. À titre d’illustration, la filière de la pêche française ne dispose que de 1,2 % de parts de marché mondial, ce chiffre atteignant 17,5 % pour le secteur du viticole et des spiritueux, où la France reste le leader mondial.
La politique agricole, angle mort du macronisme
Cette nouvelle crise n’est qu’un symptôme supplémentaire de plusieurs décennies de fragilisation du secteur agricole. De crise en crise, et faute de solutions structurelles, les producteurs sont restés soumis aux aléas du marché. Cette crise dénote surtout l’échec des politiques publiques, conduites depuis 7 ans. Le soudain revirement du Président de la République sur les prix planchers – dont la traduction législative reste incertaine – traduisant cruellement une absence de vision stratégique sur le sujet. Ce que la reprise opportuniste de la notion de souveraineté peine à dissimuler.
Or l’exposition du monde agricole au modèle libéral est particulièrement préjudiciable. Le travail sur le temps long s’accommode péniblement des variations du marché. Tandis que les politiques reposant les comportements individuels ne permettent pas de lever les blocages à une transition agricole.À cet égard, la relative perte de compétitivité de la « ferme France » traduit un échec de vision. La politique d’ouverture des marchés visant à accroître les exportations a menacé les filières les plus fragiles comme l’élevage, tandis que la compétitivité prix atteint vite des limites. Cette politique est pourtant soutenue ardemment au niveau européen. L’Union Européenne étant la première contractante mondiale avec 42 accords recensés. Un rapport parlementaire récent pointe notamment les lacunes des contrôles aux frontières, malgré les demandes répétées des professionnels.
À échelle nationale, les deux lois EGALIM se révèlent être de cinglants échecs. Pour rappel, il s’agissait de la pierre angulaire du premier quinquennat, symbole du macronisme disruptif. Une vision empreinte de naïveté, espérant rééquilibrer les négociations entre distributeurs et producteurs, par des procédés de pures formes. Le rapport de force défavorable aux producteurs est tout bonnement occulté. Faute de vouloir prendre des décisions fortes, comme l’encadrement des prix, l’encadrement des discussions s’avère au mieux anecdotique. Ceci alors qu’un observatoire des prix et des marches suit l’évolution des coûts pour chaque filière.
Ceci a conduit à une loi Egalim 2 en 2021 tout aussi symbolique. Celle-ci comporte des mesures techniques, telles que l’ajout d’une clause de révision des prix dans les contrats, ainsi que des mesures d’affichage (expérimentation d’un « affichage rémunérateur » ou renforcement de l’information sur l’origine des produits). Là encore, les mesures visent à faire changer les comportements du consommateurs, comme seul ressort d’une souveraineté.
Dans cette même veine, les efforts de plusieurs ministres pour lutter contre « l’agribashing » se révèlent anecdotiques, voire contre-productifs. En tentant de créer un clivage à l’égard des opposants à l’agriculture française, le gouvernement a tenté de s’en faire passer pour les défenseurs. Las, les campagnes de communication pour donner une image « positive » du monde agricole n’ont pas sérieusement permis de répondre aux lourdes difficultés économiques et sociales. Tandis que la mobilisation des paysans pour un revenu décent a considérablement amélioré leur image dans l’opinion.
La capacité de production de la France risque d’être durement entamée par les départs en retraite.
Le bilan de la politique agricole se mesurera à la capacité à garantir la pérennité du secteur. Pour l’heure, la baisse du nombre d’exploitants est une tendance de long terme. Celle-ci est pour l’heure compensée par la hausse de la taille des exploitations. Mais le secteur s’avère profondément menacé. Tout d’abord par le manque de renouvellement criant des chefs d’exploitation, dont la moitié a déjà plus de 50 ans. La capacité de production de la France risque d’être durement entamée par les départs en retraite, en l’absence d’un nombre suffisants de candidats à la reprise. Ce processus est accéléré par les difficultés financières, avec un bon des défaillances d’exploitations de 7 % en 2023.
L‘occasion manquée de la loi d’orientation agricole
À ce titre, le projet de loi agricole pour favoriser les transmissions, apparaît dans cette lignée politique. Comportant un total de 19 articles, il apparaît vague et globalement inopérant. À ce titre, les deux premiers articles se limitent à définir un cadre d’intention.
Les mesures pratiques n’apparaissent pas à la hauteur des enjeux. Les articles consacrées à la formation posent les bases d’une revalorisation de la filière agricole (articles 3 à 5), sans néanmoins en préciser les modalités. L’essentiel des autres articles portent sur des mesures de simplifications techniques. Le cas des haies, longuement utilisée comme exemple concret, faisant l’objet d’un article. Tandis que les autres articles portent des risques pour l’environnement en encadrant d’avantage les recours, ou en modifiant les nomenclatures. Dans ce rayon, la création d’un France Services agricole s’avère un aveu d’impuissance face à la complexité normative.
Dans cette liste, l’article 12, portant sur la création de groupements fonciers agricoles d’investissement (GFAI) doit particulièrement attirer l’attention. En effet, ce véhicule d’investissement risque d’introduire les dérives de la finance dans le monde agricole. L’article vise à découpler la possession de la terre de l’exploitation afin de lever le blocage à l’installation de jeunes. Toutefois, l’arrivée d’investisseur sur cette ressources rares comme prisées est particulièrement inquiétante. Tout d’abord, les SAFER ont alerté sur le fait que les investisseurs privilégieront les exploitations les plus sûrs, ce mécanisme ne profitera qu’à la marge aux nouveaux installés. En outre, ce mécanisme risque d’apporter une instabilité supplémentaire dans le monde agricole, qui a besoin de garanties sur le temps longs. Le changement d’investisseurs dans le groupement propriétaires, la révision des tarifs de location pour suivre les évolutions du marché ou bien assurer un rendement maximum, risque de compromettre de nombreuses installations.
Enfin, au rang des absents, la question des revenus est totalement occultée. Alors que celle-ci était au cœur de la mobilisation de janvier. Par ailleurs, aucune disposition ne permet sur le long terme de remédier aux retards de paiement des aides. Le manque de moyens de l’État conduit en effet à fragiliser financièrement des exploitations, en termes de trésorerie. À fin mars, c’est 1 milliard d’euros d’aides qui restaient encore à distribuer. Quant à la proposition des prix planchers, elle est tout simplement remisée. Le secteur bio étant particulièrement exposé, notamment pour les aides à la transition. En conclusion, le projet de loi se limite à des décisions techniques immédiatement à la main des services de l’État. Et dont certaines restent encore grandement floues, quand ce n’est inquiétante.
La transition agro-écologique, chemin vers la souveraineté alimentaire
L’angle mort de cette déclaration d’intention du gouvernement est celle de maintenir un tissu agricole à taille humaine. En effet, l’enjeu fondamental du maintien de la souveraineté est la préservation d’un tissu agricole dans les campagnes. Les exploitations de moindre dimension sont autonomes et plus difficiles à intégrer. Elles permettent une meilleure prise en compte de l’environnement, comparé à de pratiques industrielles sur de grandes étendues, le développement d’une polyculture ainsi que de circuits courts. Le Haut Conseil pour le climat a notamment pointé que les émissions de gaz à effet de serre de la production française diminue, à l’inverse de ceux générés par nos importations. En outre, il s’agit du meilleur moyen de maintenir une force agricole dans la durée. Or la financiarisation du secteur compromet largement cet objectif.
L’ambition de recouvrir une souveraineté agricole, exige ainsi de garantir un nombre d’exploitants et d’actifs agricoles suffisants. Or, prétendre soutenir le secteur agricole, sans considération pour les contraintes environnementales s’avère être un non sens. Ces raisonnements s’appuient sur les difficultés économiques évidentes pour appuyer une idéologie rétive à tout changement. Tout d’abord, il s’agit du premier secteur exposé à son impact, avec des phénomènes climatiques extrêmes. Ensuite, la préservation de la qualité de l’environnement a un impact global, comme l’a illustré le débat sur l’emploi des néonicotinoïdes, menaçant l’apiculture et les cultures dépendants des pollinisateurs. Enfin, il existe un véritable débat de santé publique, qui touche en premier lieu les exploitants, mais devrait mobiliser tous les citoyens. À titre d’illustration, on peut souligner l’enquête du Monde sur la pollution des eaux, qui présente des niveaux de pollutions anormaux directement liés aux productions agricoles.
En outre, un récent rapport parlementaire a pointé le défaut d’indicateurs fiables au niveau européen ou français pour mesurer la dépendance alimentaire (balance commerciale, taux de couverture des besoins). En complément, il s’avère nécessaire de posséder une vision d’ensemble du circuit de transformation des produits. Il faut en effet considérer l’alimentation d’avantage que la seule production. Et ce au-delà des productions génériques du Haut Commissariat au Plan. Ceci permettrait d’identifier les points de fragilité et les secteurs à soutenir, et a minima d’établir une stratégie cohérente.
Si « la souveraineté alimentaire [devient] un objectif structurant des politiques publiques », avec le projet de loi gouvernemental, ceci exige des mesures fortes. En premier lieu, cet engagement exige de sanctuariser le monde agricole au sein des traités de libre échange. La porosité des clauses miroirs, à savoir la réciprocité des normes, a été largement dénoncée au moment de la crise. A minima, une différenciation par produit permettrait d’amortir les effets chocs qui fragilisent des filières entières.
Il s’avère nécessaire de bloquer le rachat par des fonds étrangers de parcelles, et ainsi préserver la terre. Ceci est à la fois justifié par la forte inflation des prix des terrains, les difficultés d’installation des jeunes agriculteurs et la nécessité de préserver notre approvisionnement.
Aussi, il s’avère nécessaire de bloquer le rachat par des fonds étrangers de parcelles, et ainsi préserver la terre. Ceci est à la fois justifié par la forte inflation des prix des terrains, les difficultés d’installation des jeunes agriculteurs et la nécessité de préserver notre approvisionnement. Cette mesure a bien été porté par le groupe Rassemblement National à l’Assemblée Nationale. Mais le texte ne va pas au-delà des intentions. Alors qu’il suffit d’étendre au domaine des terres agricoles le décret Montebourg encadrant les investissements étrangers.
Pour protéger notre souveraineté, un État stratège doté de moyens adéquats est incontournable. En particulier, accompagner les transitions va devenir essentiel. Ceci suppose une prise en compte de l’impact du dérèglement climatique sur les différentes productions. Il s’agit notamment de réviser les productions et les modes de production, notamment en matière d’irrigation. Ceci suppose également d’accompagner les producteurs dans les changements en matière de consommation. Il est ainsi éloquent que l’un des produits sur lesquels la France présente le déficit le plus important soit le soja1. Cette vision d’ensemble doit permettre de rééquilibrer les inégalités entre filières. Ceci passe notamment par une assurance globale et publique sur les récoltes, pour collectiviser le risque. Alors que pour l’heure la gestion par le privé entrave toute généralisation, avec des résultats mitigés.
En fait, il s’agit de passer d’une politique agricole à une politique de l’alimentation. La loi Egalim a posé des bases mais sans définir de moyens associés. Les plans alimentaires de territoire, 431 à ce jour, couvrent la quasi totalité du pays. Pour l’heure, les débouchés concrets sont très limités. La Stratégie Nationale pour l’Alimentation, la Nutrition et le Climat (SNANC) a consacré 20 M€ à ces plans. Ceci ne représente que le financement d’un poste pour chacun d’eux. La principale vertu de ce dispositif est d’avoir fait prendre conscience aux différents échelons de la nécessité d’une politique de l’alimentation. Il s’agit également d’un bon point d’appui pour réunir les acteurs, en particulier les consommateurs et les producteurs.
Sortir l’alimentation du libre marché
Le projet de sécurité sociale de l’alimentation est pour l’heure limitée à quelques expérimentations audacieuses. Cette mesure ne bénéficie pas encore d’un soutien public déclaré. Plus globalement, la France pourrait devenir le pays de l’alimentation de qualité, qui ne soit pas réservée à une élite, renouant avec sa longue tradition culinaire. Aussi la politique d’aide alimentaire (estimée à environ 1,5 milliards d’euros en 2018) constituerait un bon point d’appui pour expérimenter la transition alimentaire.
Enfin, des mesures plus fortes du point de vue économiques pourraient être prises. En effet, tout d’abord la concentration des réseaux de distribution ne permet pas d’envisager un rééquilibrage des négociations. Les mesures formelles s’avèrent inopérantes. En France, 7 enseignes représentent 85 % des parts de marché. En filigrane, les opérations de rapprochement entre centrales d’achats se poursuit. Dès lors, au nom de la concurrence, la question du découpage de ces groupes est posée.
En complément, la protection des petites exploitations fragilisée pourrait se faire par la création d’une foncière publique. Celle-ci absorberait la propriété des terrains des exploitations en difficulté en contrepartie de l’effacement des dettes publiques. Par ailleurs, un groupement public permettrait d’externaliser la gestion administrative. Ceci permettant à l’exploitant de se concentrer sur sa seule activité de production tout en assurant un suivi. Ceci permettrait de soutenir le secteur, éviter la destruction économique en offrant des garanties patrimoniales à la puissance publique. À terme, cette mesure favorisera la redistribution des terres et l’installation de nouveaux exploitants.
1 avec un taux de couverture de la consommation nationale de 32% – annexe au projet de loi